Toxique (Des chiens et des porcs)

saan

Il s’agit d’une pièce sur certains aspects très sombres des relations humaines . L’amitié  comme l’amour contient en son sein un obscure mélange de possessivité et d’interprétations. On peut distinguer trois types d’images dans une relation amicale: celle que l’on a de soi , celle que l’on envoie à l’autre et celle qui est interprétée par l’autre. La pièce traite de ces distorsions qui modulent l’équilibre de ces trois paramètres composants de l‘affect. Au fil des minutes, le temps agit comme un curseur oscillant entre ces paramètres, en les faisant passer de la symétrie parfaite qui correspond à la stabilité de la relation interhumaine, aux déséquilibres ultimes qui peuvent faire basculer vers la haine ou l‘amour passionnel.
L’amitié comme l’amour déchaînent les passions. Dans cette pièce, j’insiste également sur les dérèglements mentaux à l’origine des déséquilibres relationnels. Le manque de confiance en soi, la jalousie, la possessivité, la paranoïa, la soumission, l’aveuglement, le narcissisme, sont autant de dérives qui déséquilibrent les relations humaines. Il est aussi question de stabilité affective, d’équilibre relationnel aux fondations parfois erronées, biaisées , spongieuses, à l’origine de l’effondrement de la structure amicale ou amoureuse. Dans ce tableau noirci, ou l’homme retourne à l’état bestial, se phagocyte lui-même, on trouvera quelques notes humoristiques chères à l’auteur (moi-même). Diantre qu’il est bon de parler de soi à la troisième personne du singulier!

L'histoire est celle d'un groupe d'amis composé de deux couples, et de deux hommes célibataires. La pièce comporte quatres actes qui décrivent des scènes de vies dans l'intimité des couples et lors de soirées à leur de domicile ou au bar. La La scène finale est l'explosion et la déshumanisation de leur relation d'amitié avec THierry et Gilles.

Pour la mise en scène, il y a beaucoup de visuel dans le jeu des acteurs, soulignant ainsi leurs traits de caractères. L'atmosphère sobre et sombre de la scène place le décor au second plan de la  pièce qui se veut essentiellement cérébrale. L'extérieur ne compte pas (habits, décors neutres), seuls les faciès, les expressions scéniques et corporelles seront mis en avant. La lourdeur des propos et des relations seront dénotés par des touches humoristiques apportées essentiellement par les personnages soumis de Cendrine et Paolin.

TOXIQUES
(Des Chiens et des porcs)


Acte1 :

Melchior, Cendrine

Scène 1 :

Lumière tamisée verte sur une table à gauche de la scène. Deux chaises disposées de part et d’autre de la table dressée avec couverts et bouteille de vin.
Hors scène.

Cendrine : - A table !
Pas de réponse.

Cendrine : - C’est prêt ! A table !
Pas de réponse.

Cendrine : - Mon Melchior !
Pas de réponse.
Entrée en scène de Cendrine en tablier humoristique, une poêle à la main.

Cendrine : - Bon puisque tu ne me réponds pas, je commence sans toi mon amour !

Hors scène.

Melchior : - C’est bon j’arrive !
Il s’assied. Elle le sert.
Melchior : Cendrine, je t’ai déjà dit que je déteste quand tu fais la cuisine. Je ne veux pas d’un couple où la femme fasse la cuisine et l’homme se laisse servir. Nous sommes libres. Chacun peut vaquer à ses occupations sans avoir à se soucier de l’autre. Tu le sais, car tu me connais bien.
Elle le sert.

Cendrine : - Tiens c’est du poulet !
Melchior : - J’aurai très bien pu me servir tout seul. Tu n’es pas mon esclave. Je suis un homme moderne, du vingt et unième siècle, pas un de ces arriérés de macho ! Enfin tu sais tout ça, tu me connais !
Cendrine : - Un peu de pâtes mon amour ?

Elle saisit son assiette et la lui remplie. Melchior s’allume une cigarette.

Melchior : - Ta vie avec moi ne doit être parsemée que de moments heureux. Tu ne dois pas te sentir obligée de faire quoi que ce soit sous prétexte que nous partageons nos vies. Et puis je me sens femme. Je ne fais pas partie de ses hommes virils qui asservissent leurs partenaires. Je veux te servir et m’occuper de toi, sans pour autant que tu ressentes de gratitude à mon égard. Mais bon, tu me connais bien toi ma Cendrine. Nous sommes pareils. Deux âmes sœurs. Donc tu comprends très bien mon raisonnement.

Il se lève. Se sert une bière. Et s’en va.

Cendrine : - N’oublie pas ton assiette, ça va être froid !

Pas de réponse.
Elle se lève, sort de scène et lui apporte son assiette.
Hors scène.

Cendrine : - Tiens mon chéri.
Melchior : - Mouais…

On entend le bruit d’un baiser. Cendrine retourne dans la cuisine, seule assise à table, elle mange et parle tout seule.

Cendrine : - Mon Melchior ? As-tu pensé à m’enregistrer les épisodes de Femmes Désespérées hier soir ? J’aimerai bien savoir si Brooke a réussi à sortir avec Ned, tu sais celui qu’elle avait rencontré à la vente de charité mais dont on ne sait pas s’il est marié, veuf, célibataire, homosexuel ou simplement évangéliste. A la boutique aujourd’hui pendant les soldes j’ai réussi à vendre le fameux t-shirt vert bouteille troué sous les aisselles que l’on n’arrête pas de nous ramener depuis six mois. J’ai fait croire au client qu’il s’agissait d’un nouveau style venu du Japon et j’ai bien précisé qu’il n’était ni repris ni échangé. Mon chef était bien satisfait. A oui aussi j’ai eu un P.V. car je m’étais garé sur une place réservée aux coureurs cyclistes à la retraite. Sinon rien de neuf. Et toi mon amour ?

Pas de réponse.
Melchior revient dans la cuisine et pose son assiette vide.

Melchior : - Tu cuisines trop gras, je te l’ai déjà dit. Tu aurais du me laisser faire. Cuisiner un plat c’est comme peindre un tableau, toi quand tu prépares la bouffe on dirait que tu ravales une façade. Un peu de finesse que diable ! La prochaine fois, laisse moi faire ! J’adore ça et se sera bien plus digeste pour nous deux.

Cendrine débarrasse.

Melchior : - Laisse je débarrasserai ! Je ne veux pas d’une femme soumise. Va regarder ta télé, je tacherai de ne pas faire de bruit quand je rentrerai.
Cendrine : - Tu sors ? Tu ne veux pas que nous passions la soirée tous les deux pour une fois ?
Melchior (énervé) : Comment ? J’ai bien entendu ce que tu viens de dire ? Tu ne crois pas que j’en fais déjà assez pour toi ? Laisse-moi un peu de liberté, un peu d’air ! Je croyais que tout était clair entre nous ! Nous ne sommes pas un couple mais bien deux entités distinctes. Chacun vit sa vie, nous ne sommes pas obligés de rester collé toutes les cinq minutes !

Cendrine s’effondre en sanglots.

Melchior : - Arrête de pleurer ! Si tu pleures, c’est que tu ne me connais pas, ou alors que tu n’es pas heureuse avec moi ! Dans ce cas, il vaut mieux se séparer tout de suite ! Bon je me tire, ça m’énerve trop de te voir comme ça ! Tu me déçois, je te croyais bien plus intelligente, casses-toi si t’es pas heureuse avec moi !

Melchior sort de la scène. La porte claque. Cendrine pleure. La lumière s’estompe puis s’éteint.

Scène 2 :

Il est onze heures et quart. Dans la chambre, éclairage vert tamisé à droite de la scène.
Cendrine lit un livre de puériculture allongée dans le lit conjugal.
La porte claque. Elle dissimule le livre sous le lit. Prends un roman quelconque à l’envers se redresse et se recoiffe. Melchior entre dans la chambre complètement ivre.


Melchior : Tous des cons ! Cette bande de moisis du cerveau ! Ils ont essayé de m’avoir mais je n’ai pas cédé, je leur ai montré qui était le plus fort à ces demeurés !

Cendrine : Ah bon qui ça ? Tu n’as pas passé une bonne soirée ?


Melchior : Ils se foutent de ma gueule ! Ils croient qu’ils sont plus forts que moi ? Mais moi, je leur ai montré qui était le plus méchant ! Ah ah ! Il jubile. Cette bande de tarés !

Cendrine : Mon Melchior ! Qu’est-ce que tu as encore fait ?

Melchior : Quoi ? Tu devrais plutôt dire : « Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ? ». Mais en tout cas crois moi, je ne me suis pas laissé faire. Quand je suis parti, je leur ai pissé à la gueule à cette bande de crétins !
Cendrine : Il va encore t’arriver malheur si tu n’apprends pas à être un peu plus diplomate !

Melchior : Tu plaisantes j’espère ! Tu sais bien que je suis indestructible ! La dernière fois quand j’ai sauté de la voiture en marche parce-que tu m’avais reproché d’être en retard de vingt-quatre heures, et bien je n’ai même pas eu une seule égratignure ! Et puis quand les contrôleurs m’ont dit d’éteindre ma clope dans le métro alors que j’allais justement le faire, je les ai bien semés en coupant par les rails! Et puis l’autre abruti qui voulait se battre avec moi parce que j’avais dit que les bretons étaient des culs-terreux, il a essayé de me défenestrer mais moi je n’ai rien eu, à part quelques bosses et quelques écorchures. Par contre lui ! Il se rappellera de moi toute sa vie tant je l’ai insulté et couvert sa figure de crachats !

Cendrine : J’ai peur pour toi.

Melchior : Je suis fort, tu le sais. Tu n’a pas à avoir peur, il ne m’arrivera jamais rien. Je suis bien plus intelligent qu’eux, ils n’ont pas ma ruse et mon discernement. Ils fonctionnent à l’instinct. Comme les chiens !

Cendrine : Oh comme je t’aime ! Mais tu ne peux pas combattre ces gens là, ils ne méritent pas que tu t’intéresses à eux, ce sont des ânes et des imbéciles !

Melchior : Je veux juste leur donner une leçon ! Une leçon dont ils se rappelleront et qui les rendra moins cons ! Je veux qu’ils n’oublient jamais mon prénom et mon visage, je veux hanter leur esprit jusqu’à ce qu’ils réalisent le degré de stupidité de leurs actes et de leurs propos. Je suis bien plus intelligent, beaucoup plus intelligent que tu ne puisses l’imaginer.

Cendrine à ses pieds.

Cendrine : Je le sais. C’est aussi pour cela que je t’aime.

Melchior s’effondre sur le dos la bouche ouverte.


Cendrine : J’aime ces moments si rares, tu sais… Quand on se retrouve tous les deux, rien que tous les deux ! Je t’ai tout à moi ! Toi mon beau, mon justicier, mon adorable Melchior !
Melchior : Quelle bande de timbrés, de siphonnés du bulbe ! Qu’ils aillent au diable !
Cendrine : Je sais que tu es l’homme de ma vie. Ca ne fait aucun doute, nous sommes tellement semblables ! Cette soif de justice et de reconnaissance, l’envie d’un monde plus juste, de sentiments sincères et de liberté ! Je pense que dans l’avenir nous allons former une famille parfaite et harmonieuse, fondée dans le respect d’autrui et l’amour perpétuel…
Melchior : Je ne veux pas d’enfant. Tu le sais. Pas pour qu’il vive dans un monde aussi malade et corrompu.
Cendrine : Moi non plus…

Cendrine éteint la lumière et se blottît contre Melchior.

Cendrine : Comme je suis heureuse !

Elle se rapproche et le caresse.

Melchior : Pas ce soir. Ce ne serait pas bien. Je ne veux que l’amour véritable. Nous ne sommes pas des chiens !
Cendrine : Bonne nuit.

Melchior ronfle.

Scène 3 :

Lumière tamisée verte au centre de la scène. Les personnages sont vus de dos, assis sur le canapé. La télévision allumée. Melchior zappe.

Cendrine : Arrête de zapper ! C’est agaçant !

Melchior : C’est nul la télé ! C’est bien pour ça que je ne regarde jamais. Il continue de zapper. Tu ne veux pas regarder un film d’auteur plutôt que perdre ton temps devant ces conneries ?
Cendrine : Tes films sont d’un barbant ! Allez mon Melchiorounet, soit gentil et mets FemelleTV, ma série va bientôt commencer.

Le téléphone sonne. Personne ne répond.

Melchior : Puisque c’est ça, je me casse !
Cendrine : Oh non ! Ca fait si longtemps qu’on n’a pas passé une soirée tous les deux !
Melchior : Bon alors qu’est-ce que tu veux voir ?
Cendrine : On pourrait regarder Coup de cœur à San Francisco ?
Melchior : Je ne sais vraiment pas ce que tu peux trouver d’intéressant dans ces films à l’eau de rose. Parfois je me demande vraiment ce qu’on fout ensemble !

Cendrine : Tu as raison, il paraît que c’est vraiment nul… Alors qu’est-ce que tu me proposes ?

Le téléphone sonne une nouvelle fois.

Melchior : Un Arnold Grunenfeld de 1934, il dure 5h35 mais c’est vraiment du grand cinéma. Ou alors le dernier Stevie Mac Farrell filmé en temps réel caméra à la main sans son ni musique et qui retrace le génie d’Helmut Berbser dans sa période métallo-basque.
Cendrine : Je te fais confiance, avec toi et ton goût si parfait pour les arts je suis sure de ne pas être déçue.

Le téléphone portable sonne. Sonnerie ridicule.

Cendrine : c’est qui ?
Melchior : Je m’en fous. Encore un de ces crétins qui veut s’excuser ou me faire des reproches. Non merci, je préfère rester avec toi, au moins de ce côté-là je suis tranquille.
Cendrine : Tu as raison et puis on est tellement bien tous les deux.

Melchior : Tiens regarde ça, tu m’en diras des nouvelles.

Le film commence et Melchior sort de la pièce.

Cendrine : Tu ne restes pas le regarder avec moi ?
Melchior : Pas la peine je l’ai déjà vu, tu vas voir c’est vraiment bien. Si t’as besoin d’explication parce qu’il y a un passage que tu ne comprends pas tu m’appelles !
Cendrine : D’accord mon chéri ! Merci !

Le téléphone sonne. La musique s’élève de la pièce à côté.

Cendrine : Melchior ? C’est qui l’homme à la casquette ? C’est un flash back ? Je ne comprends pas ! Ah suis-je bête, il ne peut pas m’entendre, il écoute sa musique. En tout cas c’est un superbe film.

Scène 4 :

Dans la cuisine. Cendrine fait la vaisselle.

Cendrine : On se fait une soirée tranquille tout les deux ce soir mon Melchior ?

Devant la télévision.

Melchior : Ben je crois qu’il n’y a rien à la télé ce soir.
Cendrine : Ce n’est pas grave on n’a qu’à regarder un film !
Melchior : Ouais, je ne sais pas. Je n’ai pas envie. Je les ai déjà tous vus. C’est toujours pareil, rien d’original. Si tu veux on peut appeler les copains ?
Cendrine : Oh non ! Pour une fois que je t’ai pour moi toute seule ! Tu les vois déjà bien assez souvent !
Melchior : De toute façon, je ne sais pas pourquoi je te demande ton avis, toi tu n’as qu’une seule idée en tête c’est me garder pour toi, m’enfermer dans ton nid et me donner la béquée.
Cendrine : Tu es méchant !
Melchior : Moi méchant ? Tu plaisantes j’espère ? Essaies de trouver un homme aussi gentil que moi et ensuite on en reparlera. Ce soir moi, j’ai envie de boire un coup et de voir du monde.
Cendrine : Pardon, ce n’est pas ce que je voulais dire. Sors si tu veux, moi je préfère rester là à faire mes petites affaires. J’ai du linge à étendre et les toilettes à récurer, je ne l’ai pas encore fait aujourd’hui.

Melchior au téléphone.

Melchior : Allo vieux bouc, qu’est-ce que tu fais ? Allez ramènes-toi ! Je t’attends, ouais c’est ça à tout à l’heure !
Cendrine : Tu appelais qui ?
Melchior : Gilles ! Il va prévenir les autres.
Cendrine : J’espère que tu ne comptes pas les inviter ici ?
Melchior : Ici, je suis chez moi et j’invite qui je veux ! Si tu n’es pas contente tu n’as qu’à te barrer.
Cendrine : Ce n’est pas ça ! Je les aime bien tes copains, mais tu aurais qu’en même pu me prévenir ! Et puis Thierry va encore arriver à je ne sais pas quelle heure et ne plus repartir !
Melchior : Là tu me déçois vraiment ! Tu n’es qu’une égoïste, Thierry est mon ami, il sera toujours le bienvenu chez moi. De toute façon c’est facile de critiquer mes potes, toi tu n’as pas d’ami !

Cendrine en pleurs.

Cendrine : Tu n’es pas gentil ! Si j’ai quitté ma campagne avec tous mes amis, c’est uniquement pour vivre à tes côtés ! Tes amis je les aime bien mais leurs soirées « Jacques a dit », leurs concours de twirling bâton et leurs diaporamas, tu m’excuseras mais ça va cinq minutes ! Ils ne peuvent pas grandir un peu et vivre une vie normale comme tout le monde sans venir perturber l’harmonie de notre couple?

Melchior se lève et part.

Melchior : Bon, j’ai compris, je préfère partir plutôt que dire des choses blessantes. Bonne nuit ! On ira ailleurs. Pas besoin de ta présence pour nous gâcher la soirée.

La porte claque.
Cendrine : Bonne soirée mon amour, rentre à l’heure qu’il te plaira, je t’attendrai ici, bien sagement
Acte 2 :

Framboise
Paolin

Scène 1 :

Lumière tamisée rouge sur le côté droit de la scène. Une table dressée, une chaise de chaque côté de la table.
Entrée de Framboise et Paolin. Paolin tire la chaise afin que Framboise puisse s’asseoir.

Paolin : Veux tu du pain pour accompagner ta soupe ma chérie ?
Framboise : oui.
Paolin : Elle est très bonne cette soupe. Merci, tu es une grande cuisinière.
Framboise : oui.
Paolin : Tu as passé une bonne journée ?
Framboise : oui.
Paolin : Ca ne va pas ? Je te sens soucieuse. Tu n’as pas l’air dans ton assiette.
Framboise : Non, je vais très bien. Pourquoi ? Aurai-je une raison d’aller mal ?
Paolin : Non, non ! Pas du tout, je ne voulais pas t’offenser, je trouvais juste que tu ne parlais pas trop.
Framboise : Ouais c’est ça.
Paolin : Que veux-tu faire ce soir ?
Framboise : Rien.
Paolin : On pourrait regarder un film, ou bien appeler les copains pour boire un verre à la maison !
Framboise : C’est ça.
Paolin : Allez, dis moi ce qui ne va pas.
Framboise : Je t’ai dit que tout allait bien, alors tu arrêtes tout de suite. Tu crois que je n’ai pas compris ton manège ?
Paolin : Mais quel manège ? Je ne vois vraiment pas de quoi tu parles, mais si je t’ai offensé, j’aimerai bien savoir pourquoi, pour qu’on puisse en discuter.
Framboise : Tu le sais très bien ! Ne fait pas l’innocent !
Paolin : Ah non là vraiment je ne vois pas ce que je t’ai fait de mal.
Framboise : Tu me prends pour une imbécile ? Tu crois que je ne vois pas clair dans ton petit jeu ? Depuis que je suis rentrée tu es aux petits soins pour moi, et en plus tu me cherches en me harcelant avec tes questions ! Tu veux qu’on s’engueule c’est ça ? Tu aimes bien ça non ? Ca te fait jouir n’est-ce pas ?

Paolin : Mais pas du tout ma Framboise, je suis juste heureux de te voir !

Framboise : C’est ça, c’est ça, et c’est pour ça que tu veux regarder un film ou inviter les copains ? Non mais tu me prends pour qui ? Tu ne t’intéresses pas à moi, tu essaies uniquement de m’amadouer afin d’arriver à tes fins !

Paolin : Mais non mon amour, tu te fais des idées !

Framboise : Alors là ! (elle se lève folle de rage), Tu dépasses les bornes ! Moi je suis bien gentille, j’encaisse, j’encaisse, mais au bout d’un moment c’est trop ! J’en peux plus, la gentille Framboise a aussi son mot à dire ! Marre de m’écraser !

Paolin : Mais pourquoi t’énerves tu ? Je t’aime moi, j’ai juste envie de passer une bonne soirée tranquille avec toi !

Framboise : C’est ça, maintenant c’est de ma faute ! Tu sais y faire hein pour culpabiliser les autres, pour me rabaisser. Je peux être très méchante si je veux moi aussi ! Et d’ailleurs, tu l’as acheté où ce pain ?

Paolin : Ben à la boulangerie pourquoi ?

Framboise : Ah ! Fais ton innocent ! Tu sais bien faire la victime ! C’est ta spécialité ! Mais avec moi ça ne prend pas ! Je t’avais pourtant défendu de revoir cette catin !

Paolin : Mais c’est une vielle de cinquante ans ! Elle ne m’intéresse pas !

Framboise : Mais tu te fous vraiment de moi ! Attend je prends un stylo et un papier pour noter toutes les ignominies que tu racontes ! Elle… ne t’intéresse pas … parce qu’elle… est vieille ! Ca veut dire que si elle était jeune,  là par contre tu te la taperais bien la boulangère !

Paolin : Mais non, tu te trompes, ce n’est pas ce que je voulais dire !

Framboise : Ne mens pas ! N’essaie pas de retourner la situation en ta faveur ! Tu crois que je n’ai pas vu la dernière fois que tu lui as demandé une baguette ? Tu lui as souris et elle t’a répondu d’un sourire complice, comme si elle te connaissait ! Tu as touché sa main en donnant la monnaie et quand elle t’a donné la baguette, tu crois que je n’ai pas vu le symbole que cela signifiait ? Tu me prends vraiment pour une autruche ou quoi ?

Paolin : Mais non, tu divagues !J’ai juste acheté une baguette et je ne vois vraiment pas où est le mal !

Framboise : Ah ! Tu ne vois pas où est le mal ! Je note. Tu trouves ça normal d’échanger des regards complices avec une inconnue ?

Paolin : Mais c’était un regard amical, ça fait parti de son travail, l’accueil, c’est une commerçante !

Framboise : Il est beau ton alibi ! Et comme il est facile ! Mais comme par hasard la dernière fois, tu es allé acheter de la raie chez la poissonnière et tu as demandé un ticket à la chauffeuse de bus ! Je vais te la dire moi la vérité ! Tu es un coureur ! Tu n’as aucun respect pour moi ! Et la moindre occasion est bonne pour assouvir tes idées perverses ! Je sais tout! Et ne fais pas l’innocent, tu sais très bien de quoi je parle !

Paolin : Ah oui, justement j’aimerai bien savoir !

Framboise : Tu es heureux là, c’est bon ? Tu jubiles de me voir dans tous mes états ! De toute façon ça ne peut plus durer ! Je ne veux pas passer ma vie avec un chien en rut prêt à sauter sur la première pimbêche qui passe ! Tu n’es pas l’homme de ma vie ! L’homme de ma vie n’est pas un porc !

Paolin : Mais ma chérie, je n’ai rien fait de mal ! Pourquoi tu réagis comme ça ?
Si tu veux j’achèterai une machine à pain !

Framboise : De toute façon c’est trop tard maintenant, le mal est fait ! Tu ne te rends pas compte de la chance que tu as de partager ta vie avec une femme aussi compréhensive que moi…

Elle quitte la pièce

Paolin : je sais, je sais, c’est aussi pour cela que je t’aime…

Scène 2 :

Lumière tamisée rouge. Sur le côté gauche de la scène. La chambre avec le lit conjugal. Framboise et Paolin rentrent dans la pièce. Framboise tire Paolin par la cravatte. Elle s’allonge sur le dos.

Framboise : Mon Paolin ! C’est ton jour de chance ! Ce soir je suis prête à te recevoir en mon corps pur et soyeux ! Viens en moi, je m’offre à toi ! Que notre amour soit fort et puissant ! Que je te sente heureux, mélangeons nos deux âmes, et vivons notre amour avec un grand A, le seul et véritable que nous seuls connaissons ! Le plaisir ultime ! L’amour sans limites et intarissable ! Viens mon aimé et fais moi honneur !

Elle relève ses jupons.

Paolin : (tremblant et mal à l’aise) Oh mon amour, tu me combles de bonheur !

Il tente d’enlever son pantalon maladroitement. La fermeture éclaire est coincée.

Framboise : J’attends !

Paolin ne s’en sort pas, son pantalon est coincé à la moitié des jambes, il saute sur lui-même puis trébuche et tombe sur le sol.

Framboise : J’attends !

Paolin sur le dos par terre, se contorsionne et agite les jambes. Il arrive enfin à retirer son pantalon.

Framboise : J’attends !
Paolin : J’arrive mon aimée !
Il saute sur le lit.
Framboise : Attends ! Tu ne penses tout de même pas exprimer ton amour la lumière allumée ! Nous ne sommes pas des bêtes !

Paolin se lève pour éteindre la lumière. Impossible, l’interrupteur est cassé.

Framboise : j’attends !
Paolin : J’arrive mon amour !

Il prend sa ceinture, monte sur une chaise et tente de casser l’ampoule avec sa ceinture. Il s’agite comme un dresseur qui fouette un fauve. Un bruit de claquement. La lumière s’éteint.

Paolin : Me voilà mon aimée ! Enfin !
Framboise : Non c’est trop tard, je ne veux plus ! Je suis déçue, je pensais que notre amour avait une importance pour toi !
Paolin : Mais il en a ! Je t’assure ! Allez, allez, je suis prêt maintenant !
Framboise : Je ne suis pas une machine qui s’allume à la demande. C’est trop tard. Je dors.
Paolin : Mais je t’aime !
Framboise : Marre de tes états d’âme, il fallait y penser avant ! Maintenant je dors, un peu de respect pour mon sommeil si ce n’est pas trop te demander.
Paolin : Bon tu as raison. Je n’ai vraiment pas assuré. Bonne nuit.

Il l’embrasse.

Framboise : Chut !!!

Scène 3 :

Au milieu de la scène lumière tamisée rouge. Canapé vu de derrière, la télévision est allumée.

Framboise : Paolin ? Comment tu le trouves ce film ? Il te plaît ?
Paolin : Ah ouais, j’adore ! Je trouve que l’actrice principale joue très bien la comédie…
Framboise : Qui ça ? Elle ? C’est une mauvaise actrice, justement je me disais qu’ils auraient pu en choisir une autre. Elle a du coucher pour y arriver, c’est une certitude.
Paolin : Maintenant que tu le dis, c’est vrai je trouve aussi que son jeu n’est pas terrible.
Framboise : C’est sur, c’est une pistonnée, regarde-là avec ses gros seins et son déhanché d’allumeuse, tu ne vas pas me faire croire qu’elle a été choisie pour son talent d’actrice ?
Paolin : (gêné) Je n’ai pas bien vu ce à quoi tu fais allusion, mon attention s’attarde bien plus sur les décors, ils sont magnifiques.
Framboise : C’est ça, c’est ça…Il y a cinq minutes tu l’adorais, et maintenant elle te paraît insignifiante. Tu crois que je t’ai pas vu à saliver, les yeux exorbités devant cette pin up ?

Paolin : Ah non ! Je t’assure tu fais fausse route, je ne l’ai jamais trouvée charmante !

Framboise : Et si le soir où nous nous sommes rencontrés j’avais été avec elle, est-ce que tu m’aurais seulement adressé la parole ?

Paolin : Pour sûr! Premièrement je te trouve bien plus jolie qu’elle, et deuxièmement le plus important pour moi c’est la beauté intérieure.

Framboise : Quel baratineur ! Assume au moins ta superficialité et tes hormones mâles qui te font réfléchir avec autre chose que ton cerveau !

Le téléphone sonne.

Paolin : Je ne disais pas cela en plaisantant ! Ce qui compte avant tout chez une femme pour moi c’est sa grandeur d’âme, sa beauté cachée, tout ce qui compose sa personne, pas seulement l’apparence physique !

Framboise : Si j’ai bien compris ton raisonnement, tu ne me trouves pas belle. Alors que pour moi malgré ton nez en trompette, tes dents jaunes et tes cheveux dégarnis, tu es le plus beau des hommes !

Paolin : Moi aussi je t’aime, dans ta totalité, avec tes qualités et tes défauts !
Framboise : Ah oui et quels défauts ? J’aimerai bien savoir !
Paolin : Heu, j’ai beau chercher franchement je ne vois pas.
Framboise : Allez vas-y ! Dis le moi, je ne vais pas te manger !
Paolin : Et bien disons parfois…je dis bien parfois…exceptionnellement…je te trouve très légèrement…vraiment un tout petit peu…possessive !

Le téléphone sonne.
Framboise : (se lève folle de rage) Alors là ! J’aurai pu tout entendre, mais ça ! Moi, possessive ? C’est la meilleure de l’année ! Après tous les efforts que je fais depuis que nous sommes ensemble, à supporter ton caractère volage, tes regards de travers, tes mots blessants et tes allusions graveleuses dès que tu rencontres d’autres femmes ?

Paolin : Ce n’est pas ce que je voulais dire…Disons que tu m’aimes, et tu l’exprimes d’une manière passionnée !

Framboise : Ah bon ? Parce que pour toi notre amour est fade et platonique ! Je ne suis qu’une compagnie, un bouche-trou, une fille de passage que tu as pris dans tes filets et avec laquelle tu ne veux t’investir que partiellement ?

Paolin : Mais non ! Je ne veux pas dire ça !

Framboise : Oh si ! Je vois très bien ce que tu veux dire ! Et bien vas t’en si tu n’es pas heureux avec moi, si je ne suffis pas à assouvir tes désirs ! Vas rejoindre ces garces qui te regardent avec délectation, mais ne compte pas sur moi pour te courir après ! Je vais t’en donner moi de la beauté intérieure ! Leurs tripes et leurs boyaux puent comme tous ceux des autres mais certainement moins que les miens ! Les miens que je t’offre de tout mon cœur et qui ne te satisfont même pas !

Elle sort de la pièce.

Scène 4 :

Lumière tamisée rouge. La télévision est allumée. Framboise dans la cuisine, Paolin au salon.

Framboise : Je m’ennuie.
Paolin : Oh ma pauvre Framboise. Si on appelait les copains ?
Framboise : D’accord, mais je ne bouge pas d’ici. Je suis trop fatiguée.
Paolin : Dans ce cas je vais les inviter.

Au téléphone :

Paolin : Salut mon vieux Thierry, comment ça va ? Ca te dit de passer à la maison pour boire un coup ce soir ? Dans un bar ? Pourquoi pas ?
Framboise : Oh non ! Dis-lui de passer !
Paolin : Tu ne veux pas plutôt passer ici, on a plein à boire, et puis Framboise est fatiguée. Ok, d’accord, à tout à l’heure !
Framboise : Tu n’étais pas obligé de lui dire que j’étais fatigué, maintenant il va croire que c’est de ma faute si tu ne veux pas aller au bar.
Paolin : Mais non, il s’en fout Thierry, tu  sais bien qu’il adore nous tenir compagnie !

Framboise : Il n’est pas drôle, il ne parle pas, et puis il n’est pas en couple, je ne voudrais pas qu’il se sente mal à l’aise si nous ne sommes que tous les trois ! Appelle donc Melchior et Cendrine, comme ça il ne se sentira pas trop exclu !
Paolin : Mais ils ne sortent jamais !
Framboise : Mais si,  tu plaisantes ? Ce sont de gros fêtards !
Paolin : Allo Melchior ? Ca te dit de passer ce soir ? Tu veux qu’on aille dans un bar ? Bon d’accord !
Framboise : Melchior veut aller dans un bar ? Remarque, pourquoi pas. Ca me fera du bien de sortir !
Paolin : Mais je croyais que tu étais fatigué !
Framboise : Ca t’aurai bien arrangé si c’était le cas n’est-ce pas ? Et bien non, je préfère vous accompagner.
Paolin : Comme tu veux !
Framboise : Pour une fois qu’on peut sortir tous ensemble il ne faut pas manquer l’occasion…
Paolin : Bon, on décolle ?
Framboise : Par contre je t’interdis de boire une goutte d’alcool, ça te rend bête et violent !


Acte 3 :

Thierry
Melchior
Paolin
Framboise

Scène 1 :

Thierry au téléphone dans un coin de la scène. Melchior, Framboise et Paolin au bar.

Thierry : Je suis sur la route, j’arrive d’ici deux minutes le temps de trouver une place où me garer. J’ai prévenu Gilles mais je ne sais pas s’il va pouvoir venir. Ca fait un bail qu’on ne s’est pas vu, depuis l’embrouille de la dernière fois ! Tu as raison, ce sont des gamineries. Bon et bien à tout à l’heure.

Melchior raccroche le téléphone :

Melchior : Gilles ne viendra pas.
Framboise : Mince alors, tu crois qu’il est fâché ? Qu’il ne veut plus nous voir ?
Melchior : Mais non je connais Gilles, c’est quelqu’un de normal et d’assez prévisible, il a certainement eu un empêchement. Santé !

Ils trinquent.

Paolin : Qu’est-ce qu’il s’est passé la dernière fois ?
Melchior : Des bêtises, des enfantillages ! Nous nous sommes disputés à propos de je ne sais quel sujet, et là il s’est énervé et est parti en claquant la porte ! Franchement sur ce coup là, il m’a déçu ! Mais bon, je sais qu’il ne va pas bien en ce moment.
Paolin : Ah oui, tu l’as eu au téléphone récemment ?
Melchior : Non, mais je le connais parfaitement.
Framboise : J’ai encore la vibration de la porte qui claque dans mes oreilles ! C’était terrible ! Il m’a littéralement agressé en me reprochant toutes sortes de choses sans queue ni tête ! Mais bon je l’aime trop, alors je suis prête à passer l’éponge !
Paolin : Mais j’étais où moi ?
Framboise : Tu étais ivre et tu dormais sur la moquette. Tu n’as pas dit une seule phrase pour me défendre, mais bon j’ai l’habitude maintenant, je sais que je ne peux pas compter sur toi dans les moments difficiles !
Melchior : Le gros problème est qu’il ne se rend pas compte de la mauvaise influence que Thierry a sur lui !
Framboise : C’est vrai ça, il a changé !
Melchior : Je préférais avant, lorsqu’ils ne faisaient que se croiser aux soirées et ne s’adressaient pas la parole. Je trouve que Thierry s’immisce un peu trop dans la vie de Gilles depuis quelques mois.
Framboise : Tout à fait d’accord !
Paolin : Une autre tournée patron !
Framboise : C’est vrai, auparavant, il n’aurait jamais osé lever la voix en s’adressant à moi, il a prit une espèce d’assurance malsaine qui ne me plait pas du tout !
Melchior : Tu as raison, il faut réagir, je trouve que nos amis prennent un peu trop de liberté avec nous ces derniers temps.
Paolin : A la vôtre !

Ils trinquent.

Framboise : Et puis Thierry, je ne le reconnais plus ! Il se laisse aller ! Il se saoule et couche avec n’importe qui ! Et il entraîne Gilles dans ses combines !
Je n’aime pas du tout leur attitude désinvolte et irrespectueuse ! L’autre fois ils ont même bu un verre au bar sans nous avertir !
Melchior : Gilles n’est pas comme ça d’habitude ! Ca ne lui ressemble pas ! L’autre jour Cendrine l’a aperçu avec des personnes d’un drôle de genre dont il ne nous avait jamais parlé !
Framboise : C’est comme un complot ! On dirait qu’ils manigancent quelque chose contre nous ! Nous ne sommes pas assez bien pour eux ? Ils préfèrent peut-être passer leurs soirées avec des imbéciles !
Melchior : C’est Thierry qui l’emmène dans sa chute ! Il l’écarte du droit chemin ! Il se cherche sans cesse mais ne se trouve pas. Et c’est comme cela depuis son divorce avec Nadine !
Framboise : Pauvre Nadine ! Ne m’en parle pas ! Elle qui était si parfaite, et lui qui la largue du jour au lendemain comme un vieux mouchoir sale, et tout cela pour se prendre une garçonnière où il peut en toute impunité assouvir ses fantasmes avec des jeunettes.
Melchior : Oh oui ! Pauvre Nadine ! Elle qui l’a soutenue dans tous ces moments difficiles ! Quelle ingratitude ! Enfin ce n’est pas grave ! Je l’aime qu’en même !
Paolin : Mais oui ce sont des bêtises tout ça ! Une autre tournée patron !

Thierry entre dans le bar.

Scène 2 :

Au bar.

Thierry : Salut ! Ca va bien tout le monde ?
Melchior : Mouaif ! Comment tu t’appelles déjà ? (sourire narquois)

Thierry ne relève pas.

Thierry : Alors quoi de neuf ? Toujours pas trouvé la sortie depuis la dernière fois ?
Melchior : Super ! (ironique)
Paolin : Et toi Thierry comment vas-tu ?
Thierry : Oh tu sais moi c’est super, tout roule ! Le boulot ça me botte, les amours c’est le pied, et le reste ça m’espadrille !

Framboise : Tu as des nouvelles de Gilles ?
Thierry : Oui j’étais avec lui tout à l’heure !
Framboise : Ah bon ? Vous faites des soirées dans votre coin sans nous prévenir ? Sales traitres !

Elle rit jaune

Thierry : C'est-à-dire qu’il ne va pas très bien en ce moment, alors il avait envie de parler à quelqu’un…
Melchior : Tu vas m’apprendre à moi que Gilles va mal ?
Framboise : C’est vrai ça, tu ne lui parles que depuis trois mois et c’est ton meilleur ami ? Je suis dégoutée qu’il parle de ses problèmes à une tierce personne, je suis quand même son amie d’enfance !
Thierry : Ne te vexe pas, on est juste bons amis c’est tout !
Melchior : Moi je connais Gilles, toi tu ne sais rien de sa vie, alors je ne vois vraiment pas ce que tu peux lui apporter de plus que nous…
Paolin : Si je puis me permettre. Et sans vouloir t’offenser, je pense que tu as une mauvaise influence sur Gilles.

Melchior et Framboise acquiessent.

Thierry : Mais qu’est-ce que c’est que ces conneries !
Framboise : Et oh ! Tu vas te calmer et rester poli ! Ce n’est pas toi que Gilles a agressé l’autre jour !
Thierry : Mais j’étais là ! Tu étais sourde comme un pot, enfermée dans tes idées ! Il n’a pas eu d’autre possibilité que de hurler pour se faire entendre !
Melchior : Tu dis n’importe quoi ! Son comportement n’était pas justifiable ! Tu as changé ! Tu le pervertis, ouvres les yeux, il n’est plus le même depuis qu’il te fréquente !
Thierry : Il est simplement mieux dans sa peau !
Framboise : Mieux dans sa peau ? Tu lui prêtes tes habits de gogo-dancer alors qu’avant il ne s’habillait qu’en jogging ! Tu en as fait le roi de la superficialité !

Melchior : En plus il se rebelle, contre tout et contre rien, il est en pleine crise d’adolescence ! Je sais que tu ne peux pas t’en rendre compte car depuis ton divorce tu fais n’importe quoi, mais n’entraîne pas les autres dans tes combines !
Si tu veux détruire ta vie, c’est ton problème, mais ne nous mêle pas à tes histoires !
Framboise : Et puis la pauvre Nadine ! Tu ne penses même pas à elle ? Si elle savait tout ce que je sais sur tes coucheries ! Tu crois vraiment qu’elle serait heureuse ?
Thierry : Mais je ne fais rien de tout cela ! Ca fait un an maintenant que nous sommes séparés et j’estime avoir le droit de vivre ma vie sans avoir de compte à lui rendre !
Framboise : Oui mais ce n’est pas toi qu’elle appelle en pleurs tous les soirs ! Ce n’est pas toi qui supporte les conséquences de tes actes ! C’est moi et personne d’autre ! Surtout que j’ai déjà suffisamment de problèmes comme ça pour m’occuper de la vie des gens !
Melchior : Nadine est formidable, tu as fait une grosse bêtise en divorçant, tu verras que j’ai raison, d’ailleurs tu sais que j’ai toujours raison !
Thierry : Mais pas du tout ! Au contraire, j’ai été correct ! Je lui ai dit clairement que je ne l’aimais plus ! Ca aurait été l’inverse qui aurait été incorrect, si j’avais continué notre relation comme si de rien n’était !
Melchior : Tu l’aimes encore, mais tu es trop bête pour le savoir. Enfin, que jeunesse se fasse, il te manque simplement un peu de maturité.
Paolin : Je ne tiens pas à m’engueuler avec toi Thierry, mais je trouve que tu as des œillères et que tu ne vois pas la réalité en face !

Thierry se lève et crie.

Thierry : Quelle réalité ? Votre réalité ! Elle est bien bonne celle là !
Framboise : Allons chez nous, je ne veux pas me donner en spectacle ici ! (elle enrage)
Melchior : Tu as raison.

Scène 3 :

Chez Framboise et Paolin.

Melchior : Bon, reprenons. Je crois que décidément tu n’as pas les yeux en face des trous, en ce moment, tu es mal dans ta peau, je le conçois, mais ce n’est pas une raison pour que tout ton entourage en pâtisse.
Thierry : Mais je vais très bien ! Gilles et moi nous nous sommes rapprochés que cela vous plaise ou non !
Framboise : Mais tu ne connais rien de sa vie ! Moi je le connais depuis toute petite ! C’est moi qui l’ai fait croquer dans mon kebab le jour il avait faim ; je l’ai recueilli chez moi le jour où il a raté son bus ; c’est moi qui lui remuais son café liégeois quand il n’avait pas de cuillère ! J’ai toujours été là pour lui dans les moments difficiles !
Melchior : Gilles fait partie de ma famille, il peut compter sur moi ! Je l’ai aidé à soulever son armoire en bronze ;  je lui ai prêté mon pull afin qu’il se réchauffe les mains le jour où il avait froid ; je me suis jeté dans le Rhône pour récupérer son chapeau qui s’était envolé ! Et toi tu ne le connais que depuis trois mois et tu crois pouvoir m’apprendre quelque chose sur lui ?
Thierry : J’ai l’impression de rêver.
Paolin : Ouvre les yeux ! Ils ont raison !
Thierry : Qu’est-ce que je fous là ? Vous êtes mes amis ou non ? A la vue de votre discours, je pense qu’il aurait mieux valu que l’on soit ennemi !
Framboise : Quoi ? Tu doutes de notre amitié ? Là tu me déçois ! (elle a les larmes aux yeux)
Melchior : Arrêtes de dire des méchancetés Thierry ! Moi aussi je peux être très très méchant si je veux ! Et si j’étais Framboise je t’aurai viré à coups de pieds au cul !
Thierry : Quelle délicatesse !
Melchior : Tu fais pleurer Framboise ! Ton cerveau est rempli de fromage blanc ou quoi ? Tu ne comprends rien ! Tu craches de la merde par tous les pores de ta peau !
Framboise : Et moi je suis gentille, je t’accueille chez moi, et voilà comment tu me remercie ? Quelle ingratitude ! Franchement tu as changé !
Thierry : Votre problème est bien là. Vous n’avez pas changé depuis au moins dix ans !
Melchior : Tu te trouves drôle ? Et bien sache que …

La lumière blanche sur Thierry. Lumière tamisée sur les autres qui l’entourent.
Les paroles de Melchior se transforment petit à petit en celle d’un chien qui jappe, celles de Framboises en grognements de cochon. Les cris deviennent de plus en plus rapides et forts. Paolin hurle à la mort. Thierry se lève et crie.

Thierry : ASSEZ ! VOUS ALLEZ M’ECOUTER ?    


Les cris de bêtes continuent de plus belle. Jeux de scène avec mimes d’animaux se reniflant le derrière. Thierry s’éclipse en faisant quelques pas en arrière. Il lance une phrase, les personnages reprennent leurs postures normales ainsi que leurs voix.

Thierry : Salut les amis, ayez une vie heureuse !
Framboise : Tu peux la garder ta bénédiction !
Melchior : Je te raye de la liste de mes amis. Et dire que je t’avais présenté à Père et Mère, quelle honte pour moi ! Comment ai-je pu me tromper à ce point ?
Paolin : Désolé Thierry, mais on aime bien ça tous autant qu’on est,  s’insulter et se dire ses quatre vérités en face !

Acte 4 :

La scène est divisée en trois paysages représentant les lieux de vacances des protagonistes. Les personnes s’entrecroisent sans se voir ni se parler. Un décor de phare breton, un décor de montagne et un décor de campagne. Les trois scènes qui suivent sont fondues entre elles.

Scène1 :

En Bretagne.

Framboise : Je t’avais dit de prendre à gauche au rond point, cela nous aurait évité de passer par la zone industrielle et ainsi de perdre un temps précieux sur le début de nos vacances. Mais tu n’as pas voulu m’écouter !
Paolin : Mais le GPS a dit que c’était plus court tout droit !
Framboise : Si tu préfères écouter une machine plutôt que moi c’est ton problème mais sache que je viens ici depuis que je suis toute petite et je connais la route par cœur.
Paolin : Enfin bon, on a juste perdu un quart d’heure !
Framboise : Un quart d’heure ici en Bretagne ça compte ! Regarde ce gros nuage noir gorgé de pluie, il n’y était pas il y a un quart d’heure ! On aurait gagné quelques minutes de soleil, ce qui n’est pas négligeable !
Paolin : Ce n’est pas grave ! Ce n’est que le premier jour, il nous reste encore trois semaines de vacances.
Framboise : Pas grave pour toi peut être, mais si nous étions arrivés plus tôt à l’hôtel, nous n’aurions pas eu cette chambre avec le robinet qui goutte et le rideau à moitié délavé.
Paolin : C’est dérisoire tout cela ! L’important c’est d’être tous les deux !
Framboise : Mais on a trois semaines pour être tous les deux ! J’aurai préféré les passer dans une chambre correcte plutôt que dans ce cagibi.
Paolin : Respire le bon air, les embruns, comme c’est bon !
Framboise : L’air était bien meilleur il y a un quart d’heure.


A la campagne.

Melchior : Ici, c’est vraiment le meilleur endroit pour se ressourcer et passer de bonnes vacances !
Cendrine : Oh oui mon Melchior !
Melchior : J’aime les longues randonnées et les activités sportives, ça me ressource !
Cendrine : Oui et tu es si fort, que parfois j’ai du mal à te suivre !
Melchior : Je crois que c’est l’heure de l’apéritif, je vais aider Mère à dresser la table quant à toi, tu peux rester ici pour te reposer.
Cendrine : Non ! Je pense plutôt faire le ménage, étendre le linge et faire la vaisselle pour me détendre un peu ! Comme ça je me sentirai un peu comme à la maison !
Melchior : Mais tu es ici chez toi ! Tu n’as pas à faire de taches ménagères pour te sentir acceptée. Tu es un membre à part entière de la famille. Tu es ma dulcinée, celle que j’ai choisie.
Cendrine : Oh oui, ta famille est prodigieuse et d’une telle hospitalité !
Melchior : Mais non voyons, c’est tout à fait normal, ce sont des gens simples et naturels, ils ne se posent pas la question de savoir s’ils accueillent dignement leurs hôtes ou non !
Cendrine : Où est rangé le balai brosse ? Tout compte fait je préfèrerai faire les sols !
Melchior : Laisse-moi donc faire tout cela ! Tu ne veux pas que mes parents croient que je suis un goujat qui exploite sa femme ?
Cendrine : Non, certainement pas !
Melchior : Alors comportes-toi comme si nous étions chez nous et laisse-moi organiser les choses à ma manière. Contente-toi d’être à l’écoute afin d’épauler la bonne ou le major d’homme s’ils en font  la demande.
Cendrine : D’accord mon chéri !

A la montagne :

Monologue :

Thierry : Quel plaisir de chaque instant ! Le bon air de la montagne, loin de toute cette pollution urbaine et verbale ! Je me ressource ! Ah ! La solitude a parfois ces bons côtés ! Que dis-je, la solitude a bien souvent des bons côtés ! La solitude désirée bien sûr et non celle qui s’impose.
Celle qui libère l’esprit, pas celle qui abandonne et contraint celui qui la subit à une lente et lourde désintoxication. C’est cela. Je touche un point crucial. La compagnie est une drogue pernicieuse et vulgaire, si facile à apprivoiser mais si difficile à s’en défaire. Pourtant ça en vaut la peine, c’est ainsi que l’on évolue, que l’âme et même le corps évoluent. L’art de la méditation, l’ultime savoir de ne penser à rien, quel luxe ! Si facile à atteindre en apparence, mais si inaccessible dans la réalité ! Faire la part des choses, relativiser…Et au bout du compte, il n’y plus grand-chose, plus grand-chose d’important hormis l’essentiel. L’essence de notre existence, ce pourquoi nous sommes encore en vie. Indescriptible sensation qu’est la liberté. La plupart des gens ignorent son existence, on l’a fait miroiter en créant des artefacts que l’on vend ou que l’on inculque aux enfants. Les bienfaits de la société, apprendre à vivre en société, cela transforme les hommes en petits soldats malgré eux. Ils vivent, baignent en son sein et créent leurs libertés qui les empêchent de sombrer. J’aimerais n’être jamais allé ailleurs qu’ici. J’aimerai être un bouquetin, suçant des cailloux sur la crête des montagnes enneigées. Pas de problème de conscience, de cerveau embué par toute cette mascarade qu’est notre pauvre vie d’être humain.


Scène 2 :

En Bretagne.
Framboise : Quand je pense à cet idiot de Thierry. Ca me met vraiment en rogne.
Paolin : N’y pense plus, ce sont des querelles de collégiens, quand nous serons de retour en ville, tout redeviendra comme avant tu verras, tout sera oublié
Framboise : Mais moi je ne suis pas prête d’oublier. J’ai déjà trop pardonné, la coupe est pleine ! C’est gravé là ! A l’intérieur de mon crâne ! Tu te rends compte qu’il a quand même dit que nous n’étions pas ses amis ? J’ai été profondément blessée par ses propos. Sans parler du fait qu’il essaie de casser l’amitié qui existe entre Gilles et moi. Mais ça, il peut toujours rêver !
Paolin : Il ne faut pas lui en tenir rigueur, cela nous arrive à tous d’être bête parfois !
Framboise : A toi peut-être ! Mais à moi certainement pas ! Comment ai-je pu être ami pendant dix ans avec un imbécile pareil ! Ma gentillesse me perdra, après tout ce que j’ai fait pour lui ! Faut vraiment qu’il aille se faire soigner s’il a des problèmes ! Je veux bien être gentille mais il y a des limites !
Paolin : Tout le monde n’a pas la chance d’avoir ton recul sur les choses et ton vécu !
Framboise : Ca c’est sûr ! Mais je le pensais moins bête ! D’ordinaire je n’accorde pas mon amitié à n’importe qui ! Plus le temps passe et plus je suis déçue par les gens. Rappelle toi de Sylvie mon ami d’enfance, nous étions très proches, et bien cela ne l’a pas empêché de faire des avances à mon ex alors que nous étions encore ensemble ! Si je n’étais pas intervenue à temps qui sait, aujourd’hui peut être que tu sortirais avec elle ! Cette sainte nitouche, à qui on donnerait le bon Dieu sans confessions, mais qui en fait est une personne vile et dénuée d’intérêts, qui se sert des autres pour arriver à ses fins !
Paolin : C’est de l’histoire ancienne tout cela ! Les vrais amis sont ceux qui resteront à la fin !
Framboise : Oui, tu as raison. Qu’ils aillent tous pourrir ces malheureux, dans leurs vies sordides et sans saveurs ! Ils ne connaîtront jamais le bonheur d’une vie épanouie et sereine !
Paolin : C’est bien dommage. Mais que veux tu, c’est la nature humaine !

A la campagne.

Cendrine : Melchior, qu’est-ce qui s’est passé l’autre soir chez Framboise, j’ai entendu dire que Thierry avait été grossier ?
Melchior : Je n’ai pas envie d’en parler. Thierry ne veut pas admettre qu’il a changé, et que c’est de sa faute si Gilles a agressé Framboise l’autre soir. Il a été irrespectueux vis-à-vis de Framboise et je l’ai défendue, ce qui est légitime, car c’est vraiment quelqu’un de bien qui ne ferait pas de mal à une mouche.
Cendrine : Je trouve que tu es un peu partial. Il est vrai que Thierry peut être dur et maladroit parfois. De plus tu n’es pas sans ignorer ses problèmes depuis sa rupture avec Nadine.
Melchior : Déjà là, tu m’énerves, tu ne peux pas comprendre car tu n’étais pas là. Framboise est une fille super, je la connais depuis la maternelle, elle est pure et fragile, c’est pour cela qu’elle se fait bouffer assez facilement. Heureusement que je suis là pour la défendre et remettre les choses à leur place.
Cendrine : Je te reconnais bien là. Tu es intègre et droit. Mais tu ne penses pas que parfois tu l’idéalises un peu trop ? Regarde sa jalousie vis-à-vis de Paolin ! Ce n’est tout de même pas une sainte !
Melchior : Je t’arrête tout de suite. Je la connais, je sais comment elle pense, comment elle réfléchit, quelles sont ses sensibilités, ses forces et ses faiblesses ! Et puis crois-moi, Paolin est bien plus jaloux et possessif qu’elle !
Cendrine : Ah ! Sainte Framboise ! La femme parfaite, je me demande parfois pourquoi tu n’a pas jeté ton dévolu sur elle !
Melchior : Ne me fait pas une crise s’il te plaît ! Pas ici ! De quoi aurions-nous l’air ? Et puis entre Framboise et moi, notre relation est bien plus forte et complexe que ce que tu ne pourras jamais concevoir eut égard à la nature de tes relations avec tes soi-disant amis.

A la montagne.

Monologue :

Thierry : Ah si Gilles avait pu venir, j’aurai été comblé ! Il me manque vraiment. C’est bien la seule personne que je pourrai supporter ici. J’en ai plus qu’assez de tous ces gens qui se disent mes amis, qui me jugent et prennent du plaisir à me démonter dès qu’ils remarquent la moindre faille. Nadine, je l’ai aimé. Je l’ai aimé éperdument ! Mais un jour, sans raison précise, cet amour s’est envolé. Je n’y peut rien, c’est ainsi. Dès lors je passe pour le bourreau et elle pour la victime. Je conçois bien évidemment que je lui ai fait du mal, mais aurait-ce été préférable que je lui mente ? Aurait-ce été plus respectueux si j’avais fait mine de l’aimer pour ne pas la blesser ? Aurais-je du me sacrifier pour elle ? Tracer une croix sur mon avenir, et vivre la vie telle que mon entourage l’avait tracé pour moi ? Ils disent se faire du souci pour elle, et pourtant ils ne l’appellent jamais, moi je ne l’ai pas abandonnée, je garde un contact privilégié et son avenir m’intéresse au plus haut point ! Mais que voulez vous, ces hypocrites savent ce qui est juste, ce qui est bien pour les autres, mais ne tiennent pas compte de leurs propres incohérences. Ils se disent proches de Gilles mais, en réalité rien d’autre ne les intéresse à part la propreté de leur trou de balle. Ils se disent nos amis, mais nous ne sommes que de la compagnie. Un remède à leur ennui chronique, à leur vie qui s’écoule en circuit fermé et qui un jour j’espère déraillera aussi, leur redonnant ainsi un semblant d’objectivité. Je préfère fuir, plutôt que de devenir fou et sclérosé à entrer dans leur jeu d’interprétations faussées qui s’accumulent depuis trop d’années. Melchior un modèle de tolérance ? Framboise un modèle de vertu ? Paolin et Cendrine ont-ils un libre arbitre ? Laissez-moi rire, guignols !

Scène 3 :

En Bretagne.

Framboise : Paolin ! Ecrivons une carte postale à Thierry !
Paolin : Ah bon ? Je croyais que tu ne voulais plus entendre parler de lui !
Framboise : Justement, dépêchons-nous de lui envoyer une carte comme ça, s’il ne nous écrit pas, on pourra le lui reprocher !
Paolin : Riche idée !
Framboise : Alors, je commence : Cher Thierry…j’espère que tu vas bien…nous passons de formidables vacances en Bretagne où le soleil est au rendez-vous. A toi !
Paolin : C’est tout ce que tu écris ?
Framboise : Tu ne veux tout de même pas que je me rabaisse plus que ça, c’est déjà assez difficile à encaisser pour mon amour propre.
Paolin : Salut Titi… ici c’est la fête à la braguette …on bouffe des crêpes …on boit du cidre… mais la ville nous manque bien quand même un peu… La Bretagne c’est chouette… on sirote des cocktails… sous les palmiers…pour s’abriter de la pluie…A bientôt…Gros bisous…
Framboise : C’est quoi cette histoire de braguette ?
Paolin : C’est pour la rime !
Framboise : je la trouve nulle ta carte, on dirait qu’il ne s’est rien passé !
Paolin : Ben je ne sais pas j’ai mis ce qui me passait par la tête…
Framboise : Postons-là vite, le temps est compté. C’est quand même triste d’utiliser un timbre pour ça.

A la campagne

Cendrine : Bon j’ai écrit à toute ma famille, tu veux signer ?
Melchior : Fais voir ? Non c’est bon, tu n’as qu’à m’inclure dans ta signature.
Cendrine : Et si on écrivait aux copains ?
Melchior : Pour quoi faire ?
Cendrine : Ben je ne sais pas, pour raconter nos vacances !
Melchior : Vas-y si ça peut t’occuper.
Cendrine : Cher Thierry… les vacances avec mon Melchior sont sensationnelles…on s’amuse … on fait du sport… on mange bien… on a été très bien accueilli… Melchior fait la sieste…il traverse le lac à la nage…comme le faisait ses ancêtres…il peint…il sculpte…il écrit des poèmes…et joue du saxophone… signé Cendrine et Melchior.
Melchior : Pourquoi tu racontes tout cela ?
Cendrine : Ben je ne peux quand même pas raconter la vérité et dire qu’on a passé notre temps à regarder la télé et à fumer des cigarettes !
Melchior : Pfff. Lamentable.

A la montagne.

Thierry : Très cher Gilles…mon périple s’arrête ici, près de l’aiguille du midi, je pense à toi à chacun de mes pas et j’ai vraiment envie de te retrouver. Je pense rentrer en ville Jeudi par le train de dix-neuf heures. J’espère que j’aurai l’heureuse surprise de te voir sur le quai de la gare. C’est dingue de s’apercevoir comment un endroit aussi impersonnel à la capacité, dans certaines circonstances, de se transformer en un lieu chargé de romantisme. J’espère que tu vas mieux et que tu te sens prêt à assumer. Moi, j’ai pris la décision de tout leur raconter dès mon retour. Si tu en a le courage peut-être que tu m’accompagneras. Je ne t’oblige à rien. Tout ce qui compte pour moi, c’est que tu sois heureux. Il faut couper court à cette situation qui a pris depuis peu une dimension malsaine et déconcertante. Je pense qu’ils se doutent de quelque chose car Cendrine t’a aperçu avec les copains du « Paquebot ». Mais je t’avoue aussi que leur attitude récente, me pousse à croire qu’ils n’ont peut-être pas les aptitudes pour comprendre ce qui nous arrive. Tu me manques. A très bientôt. Signé, ton Thierry qui t’aime.

Acte final :

Framboise
Paolin
Melchior
Cendrine
Thierry

Scène 1 :

Chez Melchior et Cendrine. Tout le monde est assis autour d’une table basse. Thierry fait son entrée et reste debout. Il salue tout le monde.

Paolin : Alors Thierry, comment ça va ? Viens je vais te montrer les photos des vacances !
Framboise : Salut ! Tu as reçu notre carte postale ?
Thierry : Ah oui, merci beaucoup !
Framboise : Ca m’a beaucoup couté de te l’écrire, mais bon j’ai fais le premier pas, je pensais que tout était arrangé mais vraisemblablement je me suis trompée.
Melchior : Bon anniversaire !
Thierry : Heu…

Cendrine suçant son pouce, les yeux rivés sur la télé.

Cendrine : Salut !
Framboise : T’as vraiment été con sur ce coup là ! Alors là oui, t’as vraiment été con la dernière fois ! Moi je ne suis pas ton amie ? La preuve est faite maintenant puisque tu n’as même pas daigné répondre à ma carte ! Tu aurais pu m’envoyer un sms ou me téléphoner pour me remercier mais tu es bien trop égoïste !
Thierry : Ca y est ça recommence.
Paolin : Alors là c’est le rocher de l’île de Ploubenec.

Il fait passer les photos.

Thierry : Magnifiques photos, vraiment très réussies ! C’est toi qui les a prises Framboise n’est-ce pas ? Félicitations elles sont réussies !
Framboise : Mais comment ai-je pu me tromper à ce point sur ton compte ! Je n’arrive pas y croire ! Je rêve, mais sur quelle planète je vis ? Tu n’as même pas souhaité l’anniversaire à Melchior ton ami de longue date !
Thierry : Ah oui, c’est vrai ! Désolé, mais comme nous étions légèrement en mauvais termes ces derniers temps, je trouvais cela inopportun.  Et puis de toute façon ce n’est pas le genre à ce soucier d’un souhait d’anniversaire, c’est bien trop anodin pour quelqu’un de la qualité de Melchior.
Framboise : Ah bon ? Et bien je l’ai vu, moi, son visage se décomposer, l’œil guettant son portable dans l’attente du moindre signe de ta part qui n’est jamais venu ! Et tu te dis son ami ? Mais tu es indigne de son amitié !
Thierry : Bon et bien la chose sera réparée : Je te souhaite un Joyeux Non Anniversaire Melchior !
Paolin : Et puis là c’est la mer, regarde comme elle est bleue !
Melchior : Très drôle ! Tu me déçois je ne pensais pas que tu puisses être aussi…il n’y a pas de mot pour qualifier l’étendue de ta connerie.
Thierry : Je vois que l’ambiance est au beau fixe ! Ca ne vous a pas fait du bien les vacances ?
Melchior : Tu as changé. Je savais que tu allais changer. Mais je ne pensais pas que ça allait arriver aussi vite ! J’étais fier d’avoir des amis intelligents, et puis Gilles, puis toi vous êtes devenus des ânes qui ne comprennent rien à la vie. Je suis bien plus intelligent que ce que tu ne seras jamais, sache-le, je suis aussi bien plus fort que toi, je peux résister à tout, mon corps est indestructible ! Alors tiens-toi tranquille quand tu es sur mon territoire !
Thierry : On dirait un chien qui défend sa gamelle !
Paolin : Alors ça c’est le musée du nœud coulant.

Cendrine se lève furieuse.

Cendrine : Non, mais oh ! Pour qui il se prend celui-là ! Traiter Mon Melchior ainsi ! Dans ma maison ! Fais attention à toi je peux être très méchante aussi si je veux !
Thierry : Elle sait parler celle-là ? De quoi elle se mêle ! Regarde ta télé et rassies-toi s’il te plaît !
Melchior : Alors là tu vas dégager et tout de suite. (il hurle.)

S’adressant à Thierry à deux centimètres de son visage.
Melchior : Espèce de sombre crétin ! Je chie sur toute ta famille ! Sur tous les bâtards de ton arbre généalogique qui ont fait l’ordure que tu es devenu aujourd’hui ! Casses-toi ou c’est moi qui te raccompagne !
Thierry : Calmes-toi, tu es devenu un gros mâle maintenant ? Tu as bien changé, où sont passées tes belles idées ? Je vois, la théorie est aux antipodes de la pratique !
Framboise : Melchior! Vire le de ma vue ce malotru ! Comment ai-je pu être aussi bête ! De toute façon si je t’ai supporté, c’est bien parce que tu étais l’ami de Melchior. Tu as toujours été arrogant, tu dois avoir un gros problème mental, vas te faire soigner ! Vas draguer tes serveuses les Kévina ou autres Bernadette, si ça te chante ! Tu es un beauf ! Le roi des beaufs incarné ! Vas t’en avant que je ne te mette mon poing dans la gueule et ne t’avises plus de revenir !
Thierry : C’est toi qui mérites une bonne grosse fessée ! Pour calmer ta stupidité !

Framboise pleure de rage. Melchior attrape Thierry par le col de chemise.

Melchior : Allez oust ! Du balai les connards ! Tu as fait pleurer Framboise et ça je ne l’accepte pas !
Thierry : Franchement, est-ce qu’elle à l’air triste ? Elle pleure de rage, face à son incapacité intellectuelle. Elle pleure de son état. De sa jalousie maladive à l’égard des gens qu’elle aimerait posséder. C’est une paranoïaque ! Une dangereuse  narcissique ! Qui pense aimer les gens mais qui ne fait que s’aimer à travers eux !
Framboise : Qu’il s’en aille je n’en peux plus ! Qu’il aille croupir tout seul, sans amis, il ne gagne pas à être connu !
Melchior : Allez, débarrasse le plancher ! Je ne veux plus rien avoir à faire avec toi !

Paolin se cache effrayé par tant de discorde.

Thierry : Mais avant de partir, pour ne plus jamais vous revoir, je tenais à vous faire une annonce.
Cendrine : (avec une voix débile comme si elle s’adressait à un enfant) Mais il ne comprend pas ce qu’on lui a dit ? Barre-toi ! Casse-toi ! Bon vent ! De l’air ! C’est assez clair ? Ou il faut te l’écrire ?

Elle claque la porte. Thierry sonne à la porte, sans interruption. Personne n’ouvre. Framboise est dans tous ces états et commence à grogner comme un cochon. Cendrine caquette comme une poule !

Melchior : Bon cette fois ça va barder, je sors le fusil ! Il ne va pas continuer à nous emmerder la vie !

Framboise un couteau à la main. Cendrine un balai à la main. Melchior ouvre la porte.

Melchior : Tu dégages maintenant, où je te plombe le cul !
Thierry : Regardez moi ça ! Si ce n’est pas touchant ! Melchior en bon toutou qui défend sa ménagerie ! Il est bien loin le Melchior intelligent et réfléchi que je connaissais ! Il a laissé une triste place vide à ce mégalomane avide de reconnaissance, psychorigide et arrogant ! Que t’est-il arrivé pour que tu puisses te mettre dans des états pareils ? Rien ? Oui justement, rien depuis dix ans, et c’est bien là ton problème. C’est pour cela que quand quelque chose ou quelqu’un change, tu perds tous tes repères et tu deviens le fou que j’ai en face de moi. Toi qui ne vis depuis dix ans que dans tes certitudes. Ta vie s’est arrêtée peut-être, mais pas celle des autres !

Melchior pointe l’arme sur la tempe de Thierry. Lui aussi se met à japper comme un chien. Le pauvre Paolin se cache.

 Thierry : Enfin, si ça vous intéresse ! Je voulais juste vous annoncer que Gilles et moi, nous sommes ensemble !

Un coup de feu retentit. La lumière s’éteint.

Scène finale :

La meute est agglutinée sur le cadavre de Thierry. Ils le dévorent littéralement en poussant leurs cris de bêtes. Sauf Paolin qui regarde les photos.

Paolin : C’était beau quand même les côtes bretonnes.

Le téléphone sonne. Paolin répond.

Paolin : Allo Gilles ? Salut comment ça va ! Ca fait un bail dis-moi ? Si Thierry est arrivé ?

Il regarde la scène.

Paolin : Oui, oui, il est bien là. Je lui ai montré les photos de nos vacances il les a trouvé très belles ! Tu veux que je te le passe ? Là, je crois que ça va être très difficile ! Tu veux lui faire une commission ?

Paolin devient blême.

Paolin : D’accord, d’accord… Je lui dirai.

Il se lève. Va se servir une assiette et des couverts. Ramasse un morceau de Thierry. Le met dans son assiette. Saupoudre de sel et de poivre. Il en coupe un morceau. Et avant de le mettre en bouche, il le regarde fixement au bout de sa fourchette.

Paolin : Je t’aime.


FIN


Signaler ce texte