Une journée pas comme les autres

Colette Bonnet Seigue

Ce qui se passe quand on se pose trop de questions...

 

« J'ai bondi aujourd'hui pour me précipiter à la fenêtre. Un régiment de Comment précédé d'un escadron de Pourquoi défilait dans la rue. Tout à coup, une escadrille d'A quoi bon déchira le ciel. » proposition d'écriture de Pascal Perrat.

 

Il pleut averse partout, dehors, dans ma chambre et dans ma tête. Dur, dur, aujourd'hui de sortir du lit avec ce régiment de questions dans le ciboulot !

            Comment je vais faire pour avaler ma journée qui s'annonce marathonienne ?

Sur ce, je me rendors c'est si bon, mais, ça ne dure pas.

Manu- militari, une fanfare méningée entraîne un défilé de comment à m'en faire péter les neurones :

            J'ai un RV pour un entretien d'embauche à dix heures trente et, il est déjà sept heures. Il faut que je lève les enfants, habillage, petit déj, conduite olympienne à l'école et tutti quanti, tout ça avant que je m'occupe enfin de moi.

Résignée, je m'extirpe de mon plumard moelleux et ouvre en grand les fenêtres, comme à l'accoutumée.

Et tous ces comment montés de la rue qui défilent par cette brèche céleste. Une fenêtre ouverte sur firmament, ça sert souvent à rêvasser, mais la mienne troublée par tous ces points d'interrogations tonitruants, me laisse sans voix.

Je me penche sur le balcon et, sur mon trottoir, je scrute le passage des boueux, point de repère de mon emploi du temps quotidien. Comment ? Ils sont déjà passés ?  Mais mon réveil est en retard ! Non d'un chien ! Comment se fait-il ? Je vérifie sur le champ. Bien-sûr, l'alarme m'a fait faux bond ! Il est en réalité sept heures trente et trente minutes c'est important pour la suite du programme.

            Je m'empresse en courant de réveiller les gosses en les bousculant un peu, pas le choix ! J'entends alors la voix empâtée d'Amandine (ma fille la plus lente) me dire en grommelant :

-          Maman !!  Comment je vais faire ? Il me reste qu'une demi-heure !!!

-          Eh bien ma chérie, pour une fois, tu mettras le turbot !

-          Maman !! Crie Eléonore mon autre fille, viens, j'peux pas me coiffer !

De la rue, monte soudain un flot de voix humaines comme un bourdonnement d'abeilles travailleuses hors du nid. Mais comment font-ils tous ces gens qui courent à longueur de journée ? Et comment fait ma voisine de palier avec ses cinq enfants, son boulot, son mari macho ? No comment ! No comment !

            Pas le temps, je m‘occupe de la tignasse d'Eléonore, un vrai nid d'aigle à débroussailler. Vite, les bols, les toasts à griller, le lait, le chocolat et hop ! Chacune y mettra du sien et les comment de remballer leur fanfare ! Je bouscule Amandine qui me pose une question à propos de son copain de maternelle :

-          Léo, va avoir un petit frère, dit maman, comment on fait les bébés ?

-          Plus tard, plus tard ma chérie, allez mange, tu vas être en retard !

Et encore de rétorquer :

-          Comment on grandit ?

-          En mangeant mon cœur, en mangeant !

A question impromptue, réponse logique et efficace et, comme c'est bientôt Noël ça continue :

-          Comment il va faire le Père Noël pour venir chez nous, on a pas de cheminée !

C'est qu'elle pense trop la curieuse, pas le temps de répondre, tandis que sa sœur ponctuelle et silencieuse nous attend déjà sur le palier. Je prends la voiture, plus facile, pour se rendre à l'école, mais ce matin quel trafic !

            Ouf ! De retour, pas le temps d'attendre l'ascenseur, j'avale quatre à quatre, mes trois étages, toute à la pensée de ce fichu RV. Ce job, je dois à tout prix le décrocher, mais, comment m'y prendre ? Je récapitule dans ma tête  tous les points importants de persuasion. L'aiguille tourne à plein flot, vite, un maquillage pour un look discret, me voilà donc dans la rue !

Paf ! Un papillon sur mon pare-brise ! Ploc ! un pigeon s'oublie sur ma tête ! Crac ! Boum ! un conducteur nerveux me demande de dégager mon « tank » manu militari !

Pourquoi ces conducteurs escargots devant moi ? Je boue, trépigne entre frein, débrayage et accélérateur, bien-sûr, je le pressentais, je suis très en retard !!!

Pourquoi  toutes ces embûches du jour ? Pourquoi suis-je en panne de carburant ? Pourquoi je vais rater mon poste ?

Un vrombissement dans mes neurones, puis un curieux lâcher prise :

-          A quoi bon se presser, ce matin je n' serai pas choisie !

-          A quoi bon se stresser ?

-          A quoi bon travailler ?

Je rentre illico chez moi et me réconforte dans un sommeil récupérateur qui efface enfin tout questionnement culpabilisant.

 Elle n'est pas belle la vie ?

 

 

 

 

 

           

Signaler ce texte