Algues

Fiora Ottetto

Synopsis :

Une femme, s’étant faite « elle-même », femme de tête et de lits, plusieurs fois mariée, ex-mannequin, issue d’un milieu prolétaire qu’elle a rejeté, vient d’être nommée à la tête du département luxe&mode qu’une industrie biochimique investit à travers la recherche sur de nouveaux matériaux (tissus bio-cellulaires, biodégradables...) - pour couvrir des procédés peu orthodoxes. Clotilde (prénom d’emprunt, ses papiers d’identités sont au nom de Jeanine Grosjean, provoquant quelques quiproquos – par exemple, à l’aéroport, au moment de l’embarquement alors avec son supérieur hiérarchique ultra-snob, Jeanine Grosjean est appelée pour récupérer son passeport perdu) ne veut rien en savoir : elle est leur ambassadrice avant tout (et malgré tout le lissage qu’elle s’applique à donner à son image, quelques dérapages adviennent, elle leur trouve des raisons rocambolesques). Elle se retrouvera à devoir dialoguer avec Ali M’Bangué , jeune ingénieur biochimiste travaillant pour la firme (qui pour défendre Kate, secrétaire, réserve à Clotilde, lors de d'une présentation, le seul vêtement "fondant" - nue et magnifique, au milieu de Central Park, elle détourne cela en event). Lui aussi est issu d’un milieu prolétaire, mais est engagé chez les écologistes, porte-paroles dans son milieu, en faveur de l’éducation, pour la défense des libertés (ce qui lui vaudra un certain nombres de déboires). Venant de se faire quitter par son ami, il investit tout son temps à la défense de ses idéaux. Ali révélera à Clotilde ce qu’il a découvert des procédés illégaux de la firme  elle les niera jusqu’à les lui ré-expliquer (« ils déversent des tonnes de bicarbonate en méditérannée »/« le bicarbonate est excellent pour le teint ! S’ils demandaient des royalties pour cette bonne action, ils seraient encore plus riches, voyez combien ils sont généreux ! ») … Tout les oppose et pourtant, alors même que M’Bangué est a priori homosexuel, l’attraction d’abord purement physique (Clotilde/Jeanine est relativement androgyne – se travestissant même pour lui plaire, se cachant pour le retrouver et tombant nez à nez avec ses amies huppées dans un bar gay où Ali l’entraîne), se muera en une relation amoureuse. Reste à savoir si et qui entraînera l'autre sur son terrain : argent, luxe et pouvoir ou idéaux ? Est ce que ce combat ne détruira pas leur relation ?

Début :

 – Oui, mon nouveau bureau est ma-gni-fique ! Je vois la Tour Eiffel…. J’arrive demain, je dois présenter une nouvelle collection… en tissus biodégradables…. Si j’ai peur qu’ils fondent sous la pluie ? Non, j’imagine que les ingénieurs ont fait ce qu’il fallait… On la présente dans Central Park - le côté nature, et puis à défaut Central Park en automne, c’est toujours magnifique, s’ils ne sont pas convaincus, ils le seront forcément par le cadre... et notre buffet, ça sera tip-top ! crsshhh je disais ça sera ma-gni-fique !… Oui, c’est mon idée, bien sûr, qu’est que tu va croire ?!? crsss Oh décidément ! je disais : que crois-tu ? Il s’agit bien évidemment de mon idée ! …. tu seras là ? Oui ! Oh ! C’est parfait ! See you soooooon ! Take care Dear !

                Jeanine Grosjean, belle jeune femme de 36 ans, regarde par les fenêtres. La lumière sur Paris est magnifique, se reflète jusque dans un miroir au mercure, XVIIème, coiffant la cheminée en marbre rose. Des trouées lumineuses dans un ciel d’après orage, où sous les gris, les jonquille et turquoise se disputent et se mêlent. Elle caresse distraitement son pull angora, si doux, si chaud, un sourire aux lèvres – être ambassadrice pour de nouveaux tissus bio-trucs, d’accord, mais elle préfère les vieilles matières nobles, ça a plus de chic, de cachet, c’est plus loin de ce dont elle vient. Les épreuves passées, elle se trouve enfin à sa place, sa place au sommet, alors que partie de si bas, les tours, là-bas, au fond, se dressent et lui rappellent des souvenirs d’enfance qu’elle préférerait oublier.

–         Clotilde, Mr Rasportik vous demande au téléphone.

–         Dites lui que je suis occupée.

–         Mais il appelle de Russie et n’arrivait pas à vous joindre sur votre portable. Ca semble urgent…

–         Je suis occupée, vous le voyez bien, non ? Un peu d’imagination… On ne peut pas regarder le ciel pour avoir des idées et discuter avec Mr Rasportik. Et puis il m’adore. Et il adore que je le fasse attendre… Dites lui que je le rappelle dès que je peux. Kate, votre tailleur est très joli, un peu étroit peut-être ?

–         Je n’avais pas l’impression…

–         Illusion d’optique sans doute, les volumes de ces pièces sont tellement… Bref, dites lui que je pense à lui et à le rappeler, que je sais pourquoi il m’appelle et que j’y réfléchis, bien que je sois débordée.

–         Bien.

–         Insistez sur le fait que je sois débordée. Merci Kate.

Dimitri Rasportik… Ca ne sera pas la première fois qu’elle le fera attendre. Il est si amoureux d’elle qu’il lui a trouvé cette place. Si même la promotion canapé n’a plus besoin du canapé pour être promotion, tout est bien dans le meilleur des mondes. Les sentiments ? Elle y pensera une autre fois, plus tard, quand elle rencontrera quelqu’un qui – qui quoi ? Elle ne sait pas. Et en fin de compte, elle se demande, si après déjà deux mariages foirés, les sentiments existent bel et bien. Des amants, oui. Un amour ? C’est encombrant. Le cœur qui palpite, le besoin de l’autre, les soupirs et les soupçons. Clotilde est ici, là et maintenant et compte bien rester ici, là et maintenant de toute éternité. Mais se maintenir suppose bien des qualités, des efforts, et de l’énergie – qu’elle retrouve dans les SPA. En compagnie de ses chères amies. D’ailleurs, il est temps d’aller entretenir son capital beauté, le seul qui lui ait été véritablement offert, qu’elle a su thésaurisé : son prochain rdv doit lui faire un gommage et un massage. C’est très occupant – elle est vraiment débordée, et très en retard ! Cela ne compte pas, les portes lui seront ouvertes, mais besoin et désir de poursuivre luxe, calme et volupté, sous les mains expertes d’un jeune homme bien fait – qui éventuellement sera très heureux de la baiser. Clotilde s’étire et soupire d’aise. La vie devient enfin simple. L’amour en moins. Justement : enfin simple, la vie. Elle acceptera peut-être les demandes empressées de Dimitri Rasportik, le faisant attendre juste assez pour qu’à un prochain dîner, ce soit une bague qu’il lui offre, accompagnée d’une demande en mariage en bonne et due forme. Pourquoi pas ? Il n’est pas désagréable à l’œil, peut lui offrir tout ce qu’elle souhaite, a des amantes en pagaille et ne sera pas très regardant. Ils pourraient former un beau couple après tout – de toutes les fêtes et de tous les raouts. N’avoir à se demander quel sera le prochain chapeau qu’elle portera à Deauville ? Clotilde se souvient de son premier mari, de ce premier mariage, des mois d’ennui, quand elle n’avait tout à fait plus rien à faire. Mauvaise pioche. Dépression et quelques kilos – quelques kilos, son capital attaqué : l’horreur ! Rester ici et faire mariner encore ce cher Dimitri ? Oui, pour le moment. Pour le moment, c’est amusant.

–         Kate, je pars. Si Mr Rasportik essaie à nouveau de me joindre, dites-lui que je suis en rendez-vous de travail. Et que je ne l’oublie pas : je le rappelle dès que je peux ! Dites-lui que je suis vraiment navrée de ces contres-temps. Savez-vous quand il est censé rentrer ?

–         Ce soir…

–         Oh ! Ce soir ! Il faut vraiment que j’aille, alors, à ce rendez-vous, c’est impératif ! Son avion atterrit à quelle heure ?

–         D’ici quatre heures – si aucun problème ne survient.

–         Dites à son chauffeur de passer au … au … Dites à Max de se tenir prêt à venir passer me prendre avant d’aller l’aéroport, je lui téléphonerai. Merci Kate.  

–         Clo’

–         Plus tard Kate, je suis pressée. Bonne soirée. Et n’oubliez pas de prévenir Max. N’oubliez pas non plus de poser sur mon bureau le compte rendu pour la présentation new-yorkaise. Envoyez moi aussi en copie les documents par mail. Par mail, vous n’oubliez pas, je compte sur vous Kate. Par mail, d’ici trois heures maximum. Bonne soirée Kate !

Kate soupira, et vit disparaître Clotilde dans l’ascenseur. Elle pensait finir le dossier new-yorkais le lendemain et voyait s’égrener sa soirée. RER, bus : elle ne rentrerait pas avant tard – de cela Clotilde s’en fichait, pire, ne voulait pas en avoir conscience. Chacun sa croix, la croix de Jeanine avait enterrée il y a bien longtemps, là-bas, loin en RER et bus, si proche en oiseau. Chacun sa croix, chacun pour soi, bordel ! Des détails techniques étaient encore nécessaires à Kate : elle appela le pôle recherches et développements.

–         Bonjour, pourrais-je parler à la personne responsable du dévellopements des tissus biodégradables ? Ali M’Bangué, oui. Merci.

(…)

–         Ali ? Bonjour, c’est Kate. Clotilde-la-harpie est partie tôt aujourd’hui – et veut que je boucle son dossier pour dans trois heures. Il faudrait que tu m’envoies les documents presse concernant la biodégradabilité des tissus et leurs résistances aux éléments naturels. C’est possible ? (…)  Parfait ! Merci ! En dehors de ça, ça va toi ? Tu n’as pas l’air dans ton assiette ?

–         Rien de grave, juste que… je t’en parlerai plus tard. Pas par téléphone. D’autant qu’il faut que je vérifie encore un certain nombre de données.

–         Les expériences foirent ?

–         Non non, encore que ce serait drôle de voir tous ces V.I.P trempés et à poil pataugeant dans la boue et les feuilles mortes de Central Park.

–         Les feuilles mortes… Tu te remets de la rupture d’avec Alex ?

–         On parlera de ça plus tard Kate, ok ? Boucle le dossier, et si tu veux on se retrouve tout à l’heure, après, pour prendre un verre ?

Signaler ce texte