Ce jour là... Le jour ou j'ai perdu la tête !

watounet

Bonjour,

je m'appelle William.

Un jour, j'ai eu 46 ans.

Si j'avais su ce qu'il allait m'arriver en me levant ce matin là je crois que l'effet aurait été le même. J'en aurais perdu la tête ! Quelle journée. On me l'aurait dit je n'aurais pas voulu le croire, pourtant çà arrive !

Je me souviens très bien de ce matin là... Il faisait beau. Très très beau même, pour un premier de novembre. Non en fait je n'avais pas tout à fait 46 ans. J'allais les avoir, deux jours plus tard. Finalement le temps se gâta, et il se mit à pleuvoir, un vrai rideau, vous savez "comme une vache qui pisse" ! Il pleuvait et j'imaginait mon jardin transformé en rentrant ce soir par les eaux ruisselantes ayant embrassées goulument la terre jusqu'à en saliver de la boue.

Il y a des jours comme çà. On s'en rappelle dans les moindre détails. Comme la personne avec qui tu as fait l'amour pour la première fois et comment c'était. Comme ces longues journées d'entre deux saisons, ou après une après-midi de soleil à jouer dehors avec les copains il s'est mis à pleuvoir sur le bitume, et une fois à l'abri sous le porche l'odeur de pierre a fusil est monté jusqu'aux narines. Comme toutes les fois depuis quand on sent cette odeur, on se rappelle les après-midi avec les copains. Il y a plein de souvenirs marquants comme çà.

Un jour, j'avais 31 ans.

On faisait une soirée chez Aurélia. Une soirée comme on les aime. Classique, entre amis. on mange, on boit, on rigole, on boit, on rigole, bref on s'amuse bien, on boit plus qu'on ne l'avait prévu, et on reste plus longtemps aussi, parce qu'on est bien et qu'on veut pas conduire avec un verre dans le nez.

On passe une bonne soirée entre amis à raconter des âneries plus grosse que soi, les derniers potins ou commérages, les nouvelles du boulot, les dernières histoires de cul, les anciennes histoires de cul, le dernier week end, le prochain, etc on refait le monde et on rigole du passé, avec ou sans nostalgie. On dit qu'on va éviter de parler politique et on parle politique pendant une heure.

On s'insurge impuissant face à des choses qui nous paraissent injustes, débiles, ou graves. On se raconte des blagues. On reprend un verre ou un peu à manger, parce que même si on sait que ce n'est pas raisonnable on passe quand même un très bon moment. C'est bon dans tous les sens du terme. En général après mangé on s'affale sur le canapé le ventre trop plein. On peut dire plein de choses sur Aurélia. Elle cuisine bien.

Je n'étais pas le seul célibataire ce soir là. Il y avait Mike aussi. Je l'étais depuis moins d'un an. J'avais perdu l'amour de ma vie. Je voguais de fleur en fleur espérant trouver la bonne, allongeant ma liste.

Je ne sais plus très bien comment on en est arrivé là, mais vous savez très bien que dans ce genre de soirée on commence par parler de mickey et on finit par parler du cul de la nouvelle stagiaire qu'est trop b......Bref on en est arrivé à parler fantômes et tout ce genre de conneries.

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Et nous voilà, de retour à table, éclairé par quelques bougies, pour faire une séance de spiritisme. Chris dessina une wija improvisée sur la nappe en papier. C'est lui aussi qui saisit le verre.

Dans la semi obscurité et le silence... et un peu de cette fumée bleuâtre dégagée par une ou deux cigarettes, nous nous sommes alors tous concentrés... certains échangeaient des regards et soudain le verre se mit à bouger. "Chris arrête". "Nan c'est pas moi !".

Le moindre bruit aurait fait sursauter tout le monde. Et s'il y avait vraiment un esprit dans la pièce !?

Tout le monde me connaissait bien et savait que je n'aimais pas être célibataire, que si je ne le restais pas longtemps, je n'aimais pas être seul. Que voulais me caser. C'est donc tout naturellement qu'on posa une question à propos de moi. "Quelle serait le nom de ma femme ?" Et le verre se mit à bouger... au bout des doigts de Chris. Il effleura le S, hésita devant le M, et stoppa sur le I. "Et bien ta future femme aura son nom qui commence par un I !" C'est con, je n'y ai jamais cru.

Chris s'amusait bien à bouger le verre et à raconter des trucs énormes devant les gros yeux des filles. Un échange de regards complices entre Vic et moi pour en rajouter. "Esprit es tu là ?"...rrrrrrruuuuhhhhhhhhhh le verre courre sur la table de son glissement rauque... Ses mouvements sont d'abord hiératiques, formant des cercles improbables... "Attends il s'arrête ou pas là ? c'est quelle lettre ? c'est plus sur le D ou plus sur le C ?". "Sur le D !" s'exclama Chris en essayant de rester calme, détaché, innocent. Le verre repris sa course insolite jusqu'au T. Il repartit aussitôt avec vélocité, soubresaut, et vélocité à nouveau... C... "Esprit es tu là ?" réponse DTC...

Bref, trois ans plus tard quand j'ai rencontré Isa, j'ai repensé à cette soirée. Je n'avais pas besoin de ce souvenir à deux centimes pour savoir que je l'aimais. Mais je me suis dit si çà se trouve c'est la bonne. Finalement un an et demi plus tard j'avais la réponse. Ce n'était pas la bonne.

Une décennie passa, les gens continuaient à se reproduire, moi à essayer. Et puis un jour, je l'ai rencontrée, elle. Ma fiancée, ma future femme. Fruit du hasard ou intervention divine, quand j'y repense aujourd'hui je ne peux m'empêcher de me poser la question.

Un jour j'ai eu 43 ans.

Et à cet anniversaire je l'ai rencontrée. Irina. Mon amour. Dès que je l'ai vu, j'ai ressenti quelque chose. il m'était impossible de décrocher mon regard de son beau visage, parfait. Avec un petit nez fin comme je les aime. Comment on dit déjà ? Ah oui. Mon sang n'a fait qu'un seul tour ! Ses grands yeux, ces longs cils, ses lèvres parfaitement dessinées.

Sa façon de pencher la tête, son grand sourire, sa vivacité. Le véritable coup de foudre. Avant même de lui parler elle m'avait déjà fait perdre la tête. Elle m'avait jeté un sort. Et elle m'a achevé lorsque l'on s'est parlé ! Ses cheveux longs se mouvaient onctueusement, habillant avec élégance son beau visage. Elle avait une minijupe plissée. On avait 11 ans d'écart.

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Je ne sais pas si vous croyez au destin. Que tout serait écrit à l'avance. Comme en physique. Il y a deux grands points de vue. Le déterminisme et son opposé. Le déterminisme énonce que chaque occurrence dans la nature est la causalité d'un évènement précédent ou d'une loi naturelle et ainsi qu'il y aura toujours une cause précise expliquant un évènement quel qu'il soit.

C'est peut-être quand même une idée rassurante, qu'il y ait une fondement pour tout, que tout ait un certain ordre, que tout soit déterminé. Mais ce point de vue a son côté opposé. La théorie du hasard, de l'aléa. Selon cette théorie tout ne serait que pure coïncidence. Le fait que l'on se soit rencontré ce jour là, ne serait rien d'autre que le résultat d'un enchainement aussi complexe qu'inévitable, "d'accidents", rien, aucune, non pas d'idée maitresse ou de raison fondamentale.

Je ne sais pas à quelle théorie je dois croire. La première m'incite à penser que de toute façon je suis impuissant face à l'avenir, quoi que je fasse, je ne pourrais rien y changer, et savoir à l'avance ce qui va se passer ? bah on essayerait bien sur d'influencer le cours des évènements, sans succès. On aurait plus de vie. La seconde, et bien la seconde tu deviens victime du futur, quoiqu'il arrive tu n'es pas responsable, tu ne peux rien prévoir et tu ne peux rien faire de toute façon car combien même tu prendrais toutes les dispositions tout peut toujours arriver. Je crois qu'il faut simplement prendre les choses comme elles viennent.

Profiter de la vie. Et c'est ce qu'on a fait. Nous avons passé trois ans de pur bonheur. La totale et idéale complicité, nous étions des âmes sœurs. Nous nous étions trouvés. Nous avons décidé de faire un enfant et de nous marier.

Ce soir là, on allait au restaurant avec des amis. Et on voulait leur annoncer. Travaillant sur Paris je lui avais dit qu'on se rejoindrait sur place. On rentrerait ensemble à la maison. Comme d'habitude j'avais eu du mal à me garer. En plus la police avait totalement bloqué l'accès à la rue Monge.

Je suis arrivé devant la porte vitrée du restaurant. J'ai remonté mon pantalon. J'entends des pétards alors je tourne la tête mais il y a très peu de monde dans la rue. j'ai senti une goute d'eau tomber dans mon coup, puis se faufiler un chemin entre mes omoplates. J'ai poussé la porte, et je suis rentré dans le restaurant.

Les gens m'ont regardé et se sont brusquement mis à me fixer. Je n'avais pas froid malgré ce sale temps. Décidément il pleut tout le temps en novembre, quel temps de chien ! Pourtant il y avait eu du soleil ce matin !

J'étais trempé. J'avais du transpirer comme un goret à m'énerver à chercher une place, ah Paris, j'avais tourné une plombe avec la voiture avec tous ces flics dans les rues voisines. Je m'étais dit qu'un type important devait lui aussi sortir au restaurant !

J'étais humide mais chaud. J'aime pas être moite. Je me suis dit que j'allais aller faire une bise à ma chérie avant d'aller aux toilettes me rafraichir parce que je n'étais pas bien. Ils ont fait le silence comme figés sur place. Elle s'est levé en pleurant. Je me suis retourné pour voir ce qu'il se passait. Enfin j'ai voulu me retourner. Ma tête n'a pas bougée. Des filles se sont mises à crier.

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Je ne sais pas pourquoi mais j'ai porté ma main à ma nuque. Puis j'ai vu mes doigts, j'ai regardé mes mains et naturellement mon regard s'est posé sur ma poitrine.

J'étais plein de sang. Ce n'était pas de la transpiration, c'était ma vie qui s'écoulait sur moi, et imbibait mes vêtements d'un rouge pétant. Dans la rue une sirène de police retentit. Des cris. des gens courraient. Des policiers, certains en civil plaquaient violemment un homme contre le mur puis sur le trottoir de l'autre côté de la rue en aboyant des ordres.

Puis les sons devinrent sourds. J'avais l'impression que la salle tournait autour de moi. J'étais plein de sang, la tête trouée, planté là au milieu du restaurant, source de panique et finalement, mes jambes se dérobèrent sous moi.

J'avais reçu une balle dans la tête. Une vitre se brisa. Les personnes du restaurant se remirent à faire du bruit et à bouger. Je ne distinguais rien de clair. J'avais les yeux fermés je crois. Je ne sais plus. On m'a touché. On m'a parlé sans doute. Oui on m'a parlé c'est sur. Au moins elle. Mais je n'ai pas répondu.

J'avais du mal à comprendre ce qu'il se passait, ce qu'il m'arrivait, toute cette agitation, pourquoi les gens paniquaient, ce qu'ils disaient. J'étais bien. J'ai souri. J'avais l'impression d'être au chaud dans mon lit et que tout çà n'était que mon imagination qui prêtait à mon réveil outre des sons, des formes et des gestes. Merde chier le réveil.

Je me suis endormi. Je m'appelait William. On m'a tué ce jour là.

Un jour, j'ai failli avoir 46 ans.

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