Jolene

loonea

C'est drôle, cette chanson Jolene, on l'a chantée comme des folles à notre adolescence. A chanter n'importe comment, à traduire n'importe quoi, à crier « Joleneeee rends-moi mon homme », et d'autres paroles sans sens, car à cette époque, on était les plus fortes du monde, on savait tout sur l'amour, sur les gens, sur les rencontres, sur les baisers, et sur ce qu'il se passait entre deux êtres une fois la lumière de la chambre éteinte.

Aujourd'hui seulement, je me rends compte du ridicule de la situation, mais qu'est-ce qu'elle était heureuse cette époque, on se confiait tout, on était tout l'une pour l'autre, et l'on vivait tout sans peur, sans crainte, et c'était juste de la vie. Tout se déroulait comme cela devait se dérouler, les colères, les emmerdes, l'ennui des jours de pluie à hurler « JOLENEEEEEEEEE MY HAPPYNESS DEPENDS ON YOU !!!!!!!!!!!! ». A cette époque, ce qu'il nous manquait, c'était de la glace à la vanille et une cuillère, pour parler de nos désespoirs amoureux et de ce monde qui s'effondrait sans cesse autour de nous. Foutus certitudes, foutus incertitudes. Rha, qu'est-ce qu'on aurait pu en manger des glaces, comme dans les sitcoms américains maintenant, nous gaver de glace et attendre que cela passe en écoutant « Jolene, Jolene, Jolene, Jolene, I'm beggin you don't take my men. »

Cette Jolene c'était moi, c'était toi, c'était nous, chacune d'entre nous. A nous projeter dans ces mots anglais qu'on ne comprenait pas très bien, à écouter sans cesse ce vieux disque que tu avais pris dans le grenier de tes parents. Parce que pour nous, l'homme qui nous embrasserait à l'autel, serait un autre homme que celui-là, un homme qui nous ferait pas pleurer du coeur, cet homme qui nous regarderait comme s'il n'y avait que notre beauté à nous. Et, c'est curieux, parce que, cette Jolene est devenue toi, ou elle est devenue moi. Et, un je ne sais quoi a fait que toute cette histoire s'est cristalisée à travers cet homme, cet homme qui représentait tout pour toi, à travers cet homme qui représentait tout pour moi. Le partager était curieux au départ, avant que cela devienne la chose la plus naturelle du monde. On a fini par s'appeler mutuellement Jolene, et à fredonner cette chanson quand l'une de nous allait rejoindre cet homme. Et pourquoi est-ce que cela aurait été bizarre après tout ? On avait été élevée comme des soeurs, on avait grandi ensemble devant des feuilletons débiles, à lire les mêmes livres, à éprouver les mêmes émois devant de beaux garçons... c'était naturel, normal, trop normal pour nous. Un seul homme pour nous deux, et lui nous ayant l'une et l'autre chacune à son tour. C'était comme une danse, une danse dont on avait créé les pas pour satisfaire nos désirs, pour être sûres qu'on soit protégées par le même homme, aimées par le même homme.

Et maintenant, que faire alors qu'il y a un bébé en jeu ? Que cette grossesse est là alors qu'on ne s'était jamais posée la moindre question à propos d'un enfant. Il est à qui ce futur enfant ? À lui ? À toi ? À moi ? À nous ? On fait quoi maintenant ? Je fais quoi maintenant que j'attends son enfant ?

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