Louise à la fenêtre

miroska

Synopsis
Louise, 25 ans, quitte son père pour emménager dans son premier appartement et vivre enfin à Paris. Chargée du dernier carton, elle est bousculée par Alex. Il l'aide à ramasser ses affaires, lui souhaite la bienvenue et s’en va.
Plus tard dans la nuit, alors que Louise se laisse porter par ses pensées à la fenêtre de son nouvel appartement, une fenêtre s'allume de l'autre côté de la rue. Un homme tient dans les mains une ardoise sur laquelle des mots semblent être écrits pour elle. Louise reconnaît alors dans la lumière celui qu’elle avait rencontré le matin même.
Depuis cette nuit, Louise ne vit que pour lui. A 17 heures, elle quitte son bureau du ministère et court chez elle. Depuis sa fenêtre elle attend de lire les mots qu'il placarde pour elle sur la vitre d'en face. C'est la seule chose qu'il puisse lui offrir, tant qu'il sera marié.
Les jours, les mois sont passés, Alex a enfin quitté sa femme. Il lui annonce sur sa pancarte, la semaine prochaine c'est elle qu'il va épouser.
Le père de Louise est venu la chercher pour l'emmener à la Mairie. En sortant de chez elle, Louise rencontre Johanna, sa voisine de palier. Elle aussi est vêtue de blanc, de la tête aux pieds.

Louise à la fenêtre
                                                    -I-
  Mais qu’est-ce qu’il fait ?..."Papa !! Papaaaa !! Viens, on y va, si  j’ai oublié quelque chose de toute façon je le prendrai  le week-end prochain !"
"T’avais oublié le livre de cuisine que je t’ai acheté. Vaut mieux que tu l’aies… au moins pour commencer. Allez, en voiture." Oui, je vais commencer. J’vais commencer ma nouvelle vie, manger à n’importe quelle heure, mettre les pieds sur la table, oublier de faire mon lit et même manger au lit quand j’serai pas malade. Oui, je vais commencer… Mon dieu qu’il a l’air triste. Il a mis son manteau vert. Pourquoi il a mis c’ manteau ? C’est pas le jour du cimetière ! Je déteste ce manteau vert. Maman le détestait aussi d’ailleurs. Il lui donne mauvaise mine. Et puis l’air sévère, "pathétique", elle disait. "Henriiiii, avec ce manteau tu es pathétique", elle lui lançait à chaque fois.  "Henriiii, Henriiii", la tête entre les mains, "Henriiii, Henriii,", comme une scie. C’est vrai qu’il est pathétique ce manteau vert… "T’inquiètes pas papa, c’est à vingt minutes en train, je reviendrai tous les week-ends." "Je ne m’inquiète pas ma chérie. Je suis heureux pour toi ma Louise."

                                                    -II-
  «32….36….C’est là ! Gares toi là !"
                                                    -III-
  Derniers cartons. Je vais y arriver. Trois étages, c’est quoi ? Vingt, vingt-cinq marches fois trois. Les dernières 65 marches  pour faire le grand pas. L’ultime longue marche pour vivre à Paris. Paris,  des rues jaunes dans des nuits jamais noires, du bruit, des trottoirs trop petits, des odeurs de pièces où l’on a dîné et qu’on pourrait pas aérer, des inconnus, des rues à chaque coin de rues, des rues sans arbre mais sans ligne droite, sans poteaux télégraphiques, sans famille à vélos, sans bégonias, sans ennui... "Aïe ! Je suis désolée, je ne vous avais pas vu."  "Non c’est moi, attendez je vais vous aider à ramasser." Mes chaussettes…Quelle honte ! J’vais quand même pas lui expliquer que c’est mon père qui me les a achetées. Qu’il choisit toujours des fées pensant me faire plaisir. Il pourrait pas comprendre. Pas le genre à porter un manteau vert. "C’est bon, j’vais finir. Vous avez votre cigarette, c’est pas facile d’une seule main. Enfin, j’veux dire, ça ira. Merci."   "Ok. Vous emménagez dans le quartier ?" "Oui, juste en face, au 38." "Alors bienvenue ! A une prochaine !" "A une prochaine."

                                                    -IV -
  "Papa, je vais ranger. Tu peux rentrer tu sais. Tu as de la route, et il fait déjà nuit."  "D’accord, d’accord ma Louise. Je t’appellerai en rentrant. Et ne te couches pas trop tard quand même, enfin, j’veux dire, tu travailles demain."  Je n’ai pas tant de choses que ça. Le contenu d’une chambre dans un deux pièces, ça pèse pas lourd. Une petite cuisine, une petite salle de bain et une chambre côté rue.  

                                                      -V-
  "Allo ? Ah Papa , t’es bien rentré ?....Oui je les ai vues sur la table de la cuisine. Merci papa. Merci pour tout. A demain."  Des crêpes et tout leur attirail. Comme quand j’étais petite, les veilles de rentrée des classes. Je maudissais la rentrée des classes et papa le savait bien. Maman m’habillait en robe et ne me tenait jamais la main devant le portail. "Je ne veux pas t’embarrasser", elle disait. Tu parles ! Devant qui m’aurait-elle embarrassée ?  J’étais transparente, invisible, inutile…sauf pour Chloé. Et Chloé, sa mère lui tenait bien la main. Mmmm….à 1 heure du matin une crêpe au sucre dans la nuit de ma ville aux fenêtres éteintes, dans ma ville qui dort déjà bercée par la douce lumière blonde des réverbères, dans ma ville aux mille voisins, aux mille vies, aux mille lits. Ou presque ! La fenêtre d’en face s’allume. Tiens eux ils ont la cuisine côté rue. C’est bien aussi. Faut dire qu’elle est belle leur cuisine, on dirait la vitrine des Cuisines Philippe, près de chez Chloé.  Ah mais c’est le type de ce matin ! Qu’est-ce qu’il fait ? Pourquoi il se colle à la fenêtre ? C’est une ardoise ? C’ETAIT SI DOUX CE MATIN MAIS BEAUCOUP TROP COURT. TU ME MANQUES DEJA. C’est dingue ! Il l’aurait donc fait exprès de me rentrer dedans ? Et moi qui l’ai expédié. Jamais j’aurais pu croire…enfin pas lui…pas un homme comme lui. Qu’est-ce que j’réponds ? Non j’réponds pas. De toute façon je n’ai pas d’ardoise moi. Vaut mieux que j’me décale un peu, qu’il ne puisse plus me voir. D’ici je ne vois plus son regard mais je me le rappelle très bien maintenant … il y avait cette lumière dans ses yeux noirs comme celle des bateaux mouches et des ponts de pierre qui carresse la Seine la nuit. Et sa légère odeur acide de transpiration mêlée à celle de la mousse à raser. Ca ca m’avait fait l’effet des matins d’automne, quand les arbres suintent encore des chaleurs de l’été sous les premières pluies.  Ne pars pas tout de suite. Laisses moi encore une minute que je puisse te regarder… Et moi qui me planque. Non ne pars pas. J’espère ne pas l’avoir déçu…  Bonne nuit. Merci mon Dieu. Merci Paris.

                                                   -VI-
 
"Vous êtes sur France Inter, il est 6h30. Tout de suite les titres du jour avec Michel Durieux. Bonjour, cette nuit le Mur de Berlin qui séparait l'Allemagne en deux depuis 1961 est tombé..."  6h30!…Et lui, est-ce qu’il dort encore ? Pas de lumière… Cela dit il préférera certainement me voir joliment habillée à son réveil. Allez debout Louise. Je mettrai ma robe bleue.  "Tu es épatante !" m’avait dit Chloé la première fois que je l’ai mise.

                                                     -VII-
  7h30. Tu dors encore, tu dors du sommeil du juste. Mais je vais devoir partir moi… Tiens, le fleuriste est déjà ouvert....Et celui-là qui promène son chien, c'est des croissants qu'il tient à la main…doit y avoir une boulangerie de ce côté là. Faudra que je repère un peu, que je trouve un restau sympa, j’y inviterai papa. Il sera content et rassuré de voir que j’me fais au quartier…. Enfin la lumière ! Mais c’est qui elle ? T’es marié ? Et tu as un fils en plus ? D’ici je dirais que c’est à toi qu’il ressemble.  Je comprends mieux maintenant…. Je ne te verrai pas ce matin.

                                                     -VIII-
  "Votre carte s’il vous plaît."
"Oui, oui, je l’ai. Je la cherche.»
"Ah tiens salut Louise ! Alors ce déménagement, tu es bien installée ? Faudra inviter les collègues pour ta pendaison de crémaillère.»
Non mais tu rêves. "Oui…enfin dès que j’aurai tout déballé. "
"Bon ben j’y vais. On se voit peut-être à la cantine ?"
"Oui, peut-être."
"Jolie robe au fait, tu devrais la mettre pour la soirée de Xavier samedi."
"Merci. Mais samedi c’est le 15 novembre, c’est l’anniversaire de mon père." Et puis je n’étais pas invitée.

                                                       -IX-
 "Louise, vous pouvez classer ces dossiers et les archiver. Après, vous me sortirez la liste des derniers avis de la DGCCRF s’il vous plaît." "Oui monsieur Deloître." Classer, sticker, ranger. Les petites fourmis du ministère de l’économie. Quand j’y pense… ces centaines de petites fenêtres, ces centaines de p’tits bureaux, de p’tits papiers, de photos de famille, de petits derniers, de téléphones jaunis, de claviers noircis par des doigts mal lavés…mais comment je peux encore supporter ça… maintenant que je t’ai rencontré…

                                                       -X-
     Vous dînez tous les trois en famille et tu n’oses même pas regarder vers moi. Tu n’as pas dit un seul mot depuis que vous êtes à table. Et je reconnais bien dans ton visage crispé la tristesse et la fatigue des hommes piégés par la famille. Je me souviens très bien des dîners dans la salle à manger. Papa ne disait pas un mot, ne la regardait même pas quand maman se plaignait de ma maîtresse trop jeune pour enseigner, de ses collègues incompétents, de la baguette trop cuite, des poubelles du voisin…chaque soir tout ce petit monde passait entre ses fourches caudines et papa essayait d’éviter ses piques assassines par le silence ou en s’écartant de la table. Quand il choisissait cette seconde option, il reculait sa  lourde chaise en bois sur le carrelage. Ca faisait un son lourd, long et grinçant. Il faisait mine ainsi de mieux s’installer pour mieux écouter mais je sentais bien que c’était une façon de la heurter. ...Driiiing...."Allo ? Ah Papa, je pensais à toi justement….Oui ca va bien, je rangeais les livres dans la chambre. Je me sens bien ici tu sais. Et toi ?...Ils ont éteint la lumière ! Non rien, rien, continues…"

                                                                   -XI-
EXCUSES MOI MON ANGE POUR CE MATIN…S’IL TE PLAIT… COMPRENDS-MOI.C’est déjà fait…comment aurais tu pu prévoir notre rencontre ? Attends, il efface… JE N’AI PAS EU LE TEMPS DE TE PREVENIR. Je sais, je sais. Peut-il me voir hocher la tête ? Tu ne me vois pas sur le côté, je le sais bien. Nos fenêtres sont trop décalées. Mais je ne peux pas ouvrir et nous faire courir le risque qu’elle me voit. Allez, allons nous coucher maintenant.

                                                  -XII-
  Brrrrr, il fait froid. Je ne vais plus pouvoir rester là à attendre très longtemps. Il est presque 8 heures et quart, déjà que Deloître peut pas me saquer, si je suis en retard…Mais  qu’est-ce que tu fais…..diiiiiiiinnnn….La porte…Enfin ! Allez j’y vais, je traverse.
"Bonjour !"
"Ah bonjour ! Bien installée ?"
"Oui, oui, enfin je prends mes marques."
"C’est qui papa ?"
"Une nouvelle voisine mon chéri."
"Salut toi, comment tu t’appelles ?"
"Benjamin. Et toi ?"
"Enchantée Benjamin. Moi je m’appelle Louise. Il a l’air lourd ton cartable, tu es en quelle classe ?"
"Je suis dans la classe de Mme Salomon."
"Il est en CE1, moi c’est Alex."
Alex… "Ils ne sont pas trop méchants dans ton école ?"
"Non, enfin, Balthazard un peu…"
"Louise, ravi de vous avoir revue, mais nous sommes en retard, nous devons foncer à l’école là. A bientôt."
"Oui à bientôt. Au fait je voulais vous dire, je ne vous en veux pas du tout pour l’autre matin."
"C’est gentil. Bonne journée."
"Bonne journée ! A ce soir !"
"C’est ça."

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