Mourir d'amour?

Karine Géhin

MOURIR D’AIMER

— Crois-tu qu’on puisse mourir de trop aimer ?

— Non, quelle drôle d’idée !

— Tu es sûr, car j’ai mal au cœur…

— C’est le champagne !

— Non, j’ai mal au cœur tout le temps.

— Tu crois ?

— Oui, je te le dis. Tout le temps.

— Tout le temps, mais quand exactement ?

— Tu sais, tout le temps, ça veut dire tout le temps.

— Oui, d’accord, mais tu as peut-être un problème cardiaque ?

— Ou alors j’aime à en mourir.

— Rebelote ?

— Oui.

— Je ne sais pas. Je trouverais ça incroyable. Qui aimes-tu si violemment ?

— Violemment, tendrement, follement…

— Oui, mais qui ?

— Le plus beau à mes yeux. Le plus gentil aussi. Et sûrement le plus aveugle.

— Ah, bon. Drôle de mélange.

— C’est ce que je dis.

— Je ne te suis pas.

— Le plus aveugle c’est certain…

— Tu sais, la beauté, ce n’est pas tout…

— Il n’est pas beau. J’ai dit qu’il est le plus beau pour moi.

— Il a de la chance.

— Mais il est sourd.

— Sourd ? En plus d’être aveugle ?

— C’est ça.

— Pas évident. Qu’en pense-t-il ?

— De quoi ?

— De ton amour si…mortel ?

— Je ne sais pas.

— Ah, bon ?

— Il est muet.

— Tu plaisantes ?

— Faut croire que non.

— Comment communiquez-vous, alors ?

— Par mots cachés.

— Je ne comprends rien.

— C’est bien ça le problème.

— Comment as-tu fait pour lui faire comprendre ?

— Quoi ?

— Que tu l’aimais à en mourir ?

— Je lui ai dit : « Crois-tu qu’on puisse mourir de trop aimer ? »

— D’accord, mais puisqu’il ne t’entend pas ?

— Attends, j’ai mal au cœur…

— Tu me fais peur, tu devrais tenter quelque chose.

— Tu as raison…

— …

— …

— Alors ?

— J’ai une idée.

— Dis-moi.

— Tu as déjà ressenti cette douleur dans ton cœur quand tu es avec quelqu’un ?

— … Heu… non, jamais.

— Ahhh… j’ai mal…

— Ça va ?

— …

— Hé ? Ça va ? … Oh ! Son cœur ne bat plus ! Oh, seigneur ! … Je n’ai pas eu le temps de lui dire « à part avec toi » !

— Tu m’embrasses ?

— Tu vis ?

— Mon cœur est reparti.

— C’est un miracle.

— Ça fait deux miracles alors.

— Deux ?

— Avec le retour de tes sens…

— Je ne comprends rien.

— Je sais. Tu m’embrasses ?

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