Pirouette Cacahuète
leo
Ses paupières se ferment. A la façon des rideaux de fers, elles annoncent la fin de son rêve. Devanture en berne, inéluctablement. Des gens pressés, un bus à prendre, ne pas être en retard pour le souper. Les rues se sont vidées, laissant place au ballet inquiétant de spectres, enchaînés de ses espoirs déchus. Ses doux souvenirs lui reviennent en boulets de canons démâtant sa lutte intérieure.
Il se souvient des posters de super héros qui tapissaient sa chambre d’enfant, qui l’invitaient à l’exploit. De ses jouets éparpillés, orphelins le temps d’une nuit de sa créativité débordante. Emmitouflé dans sa couette, il comptait les pas de sa maman, traversant la chambrée sous les regards émus de ses fidèles peluches. Elle les sondait d’un ton inquisiteur « mais ou est donc passé mon petit garçon ? ». Il était évident qu’ils ne le dénonceraient pas, les adultes sont parfois bien naïfs ! Il se les imaginait tout sourires, jubilant que sa cachette ne fût pas encore découverte…
Elle chantonnait avec douceur le compte à rebours qui signifiait que les investigations s’intensifiaient « Il était un petit homme, pirouette, cacahuète. Il était un petit homme, qui avait une drôle de maison, qui avait une drôle de maison ».
A la fin de cette comptine qu’il affectionnait tout particulièrement, après avoir consulté madame l’armoire, peu loquace, et monsieur le coffre à jouet, bougon comme à son habitude, elle relevait la couette et y trouvait sa précieuse créature. Il lovait de ses petits bras le cou de sa mère, déterminé à faire le plein d’amour pour le long voyage qu’il allait entreprendre au pays des rêves.
« L’avenir t’appartient… » lui murmurait-elle au creux de l’oreille, avant de déposer sur son front ce baiser protecteur qui chassait toutes ses appréhensions. Quand sa mère se retirait à pas feutré, il se signait. Il collectait ce doux baiser sur son front « au nom de ma mère »puis le déposait sur son cœur : « de son fils », joignait ses mains « de notre saint esprit » et les embrassaient « ainsi soit-il… ».
Seize années avaient passés et sa mère n’était plus. Foudroyée par le mâle, qui l’avait détruite à petit feu, puis chassé, lui. Il avait pensé à la rejoindre bien des fois mais la cruauté ne méritait pas aussi belle offrande. « L’avenir lui appartenait » se remémorait-il.
Une larme dégringole sur sa pommette en ce funeste anniversaire. Il se désagrège de tristesse sur sa couche. Les poings serrés, il remonte sa couverture comme un condamné s’agripperait à sa vie, puis se retourne comme le destin l’a fait voilà maintenant deux ans. A travers l’opercule, l’hiver ricane sous son nez, le fouette de tout son cynisme, le mord de ses incisives moqueuses, qui l’assaillent par milliers. Il délire encore un instant et s’endort, paisiblement.
Une lumière bleutée le réveil, l’agitation alentours est à son comble. En contre-plongée, il distingue deux masses sombres qui s’abattent sur lui. Ils les esquivent à toute berzingue. Ils se croisent sans se remarquer. Apeuré il s’immobilise, les regarde s’agenouiller en gueulant comme des putois puis se saisir d’une carte qu’ils décryptent…
Une voix lui confirme ce qu’il pressent désormais et qu’il contemple dubitatif « Ici Alpha Sierra, l’individu se prénomme Mathieu Drum, 21 ans, SDF, emporté par le froid dans sa maison…en carton !
Mon histoire est terminée, pirouette, cacahuète.
Mon histoire est terminée,
Messieurs, mesdames applaudissez.
Messieurs, mesdames applaudissez...
Post scriptum :
Le collectif « Les Morts dans la Rue » a comptabilisé 145 décès de sans-abri de novembre 2006 à mars 2007, dont 91 en Ile-de-France, 122 décès l’année précédente…
Depuis 1997, le 115 est un numéro d’appel national destiné à l’aide de personnes en grande précarité. L’hébergement constitue la mission principale du service. La gestion opérationnelle du 115 est départementale et confiée à divers organismes. Sur Paris, c’est le samu social de Paris qui en a la charge.
C'est bien il faut en parler...
· Il y a presque 13 ans ·tout-en-finesse
Ainsi va la vie, ou ne va pas, beau texte !
· Il y a presque 13 ans ·Eric Varon
Très très beau texte : touchée !
· Il y a presque 13 ans ·muse-oceanide
Très très bien écrit je trouve. Bravo. Et pour la bonne cause en plus... Comment t'es venue cette inspiration ?
· Il y a presque 13 ans ·axelbolu
Une ritournelle enfantine qui nous plonge soudain dans le gouffre de la souffrance et de l'inhumanité. Dur chemin pour arriver à l'Homme, apprentis humains que nous sommes.
· Il y a presque 13 ans ·itsu08
je suis d'accord avec jones, ecriture multicolore et petaradante.
· Il y a presque 13 ans ·saki
Je me pose cette question sommes nous encore humains ? rien ne va plus et on ne joue plus .Ta plume est généreuse comme ton coeur Léo merci pour eux et pour ce partage vraiment merci.Coup de coeur
· Il y a presque 13 ans ·N Am
j'applaudis!!!!!!!! ***********
· Il y a presque 13 ans ·elfee
Quelle chute !
· Il y a presque 13 ans ·Triste et magnifique nouvelle, bravo !
minou-stex
Un texte... d'une très haute humanité... je l'applaudis de tout mon coeur !!! l'utilisation de la comptine le rend encore plus fort (d'ailleurs, merci, je ne connaissais que le premier couplet...) en tout cas face aux discours "technocrates" concernant les sans logis, j'ai envie de rappeler que "c'est poétiquement que l'homme habite", encore plus si c'est un cabossé de la vie !? Merci Léo pour ce bijou !
· Il y a presque 13 ans ·Edwige Devillebichot
Bravo mon Léo pour ces lignes pleines de sensibilité et d'amour, avec toujours cette écriture multicolore et pétaradante qui te caractérise. J'aime beaucoup ton regard, ta révolte et ton attention aux autres. Merci Léo :)
· Il y a presque 13 ans ·Malheureusement je crois que le problème des sans abri n'est pas uniquement (ni principalement !)un problème de logement. En tout cas pas dans les conditions des centre d'hébergement d'urgence. Si le sujet t'intéresse, je te conseille les travaux de Declerck Patrick, notamment Les Naufragés. La question serait plutôt du côté de l'incurie, une forme extrême du désamour de soi que seul le logement ne peut pas régler. Sans oublier ce que ces hommes et ces femmes nous renvoient de la condition humaine. Vaste question, passionnante aussi !?!
jones
Ne cessons jamais d'être des enfants
· Il y a presque 13 ans ·nawyecky
Très touchant ;) Merci !
· Il y a presque 13 ans ·fran
Très beau
· Il y a plus de 13 ans ·meo
très émouvant...
· Il y a plus de 13 ans ·lya
Merci slive pour le partage et merci Léo pour ce texte qui m'as touché, en plein dans le mille!!!
· Il y a plus de 13 ans ·mmagweno
Merci Slive pour le partage, bon Léo n'oublie pas de faire quelques emplettes de produits régionaux comme tu l'as promis pour la taverne et ne bois pas tout en route. :)
· Il y a plus de 13 ans ·lapoisse
Je suis un homme sensible, peut-être trop et il m'est difficile de rester sans une larme aux creux de mes yeux. Merci beaucoup Léo.
· Il y a plus de 13 ans ·slive
Une terrible histoire qui me touche particulièrement. Je vous découvre aujourd'hui, mais je crois que je reviendrai lire vos textes.
· Il y a plus de 13 ans ·Gisèle Prevoteau
Superbe, tes mots visent juste, toujours, vraiment j'aime ton écriture !
· Il y a plus de 13 ans ·j00
Toujours agréable de te relire, Léo....
· Il y a plus de 13 ans ·thelma
J'aime énormément Portishead... ce drame que vous narrez souligne l'absurdité qui caractérise notre monde. On laisse quelques belles âmes s'occuper de ces cas "perdus"(?) et on s'engonce dans nos canapés douillets et chauds, incapables d'imaginer une société différente...
· Il y a plus de 13 ans ·Leonie
ça me touche, évidemment. Bravo!
· Il y a plus de 13 ans ·jeff-balek
ça me touche, évidemment. Bravo!
· Il y a plus de 13 ans ·jeff-balek
Ça c'est du texte ! Moi qui ai toujours du mal à me lancer dans une lecture, j'ai tout de suite accroché ! Pour une "belle" mais triste histoire de vie ... ou de mort.
· Il y a plus de 13 ans ·la-tete-en-neige
A envoyer à la presse!
· Il y a plus de 13 ans ·Beaucoup plus efficace que le journal de 20h! :)
coup de coeur pour moi
sabsab
....................mmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmm
· Il y a plus de 13 ans ·Manou Damaye
Quel texte ! Tu nous fais voyager de son enfance à sa fin... et cette couette, maigre rempart contre ce monde terrifiant, dont il ne peut que rêver... Ton récit est terrible Léo, parce qu'il m'est impossible de dire "magnifique" d'un texte qui raconte la mort d'un homme... Ton humanisme t'honore, porte le comme une gloire !
· Il y a plus de 13 ans ·denis-saint-jean
Tu nous touches au plus profond de nous avec cette nouvelle !
· Il y a plus de 13 ans ·confessions-dune-ame
j'ai oublié de dire : cinq coeurs pour moi...
· Il y a plus de 13 ans ·thelma