René et la chevelure de Bérénice

lanimelle

René et la chevelure de Bérénice

Du haut des toits René regardait les lumières qui restent, les fumées de buées qui percent les nuages et il se mit à penser à lui, à tout ce temps accumulé sous ses pieds.

Il se mit en mode retour en arrière, de maintenant à l’adulte à la chemise bien posée sur son cou, de l’adolescent au col roulé à l’enfant à la dent cassée qui tire la langue.

Il se demandait pourquoi il avait préféré ce chemin aux images, colorées ou pas, animées ou fixes sans avoir rien retenu du reste.

René butinait, piochait, était perméable dans son impermanence.

Il avait sous les ongles l’enfance échappée, l’adolescence et les études, l’adulte aux habitudes qui glissent de villes en villes.

Il avait essayé un jour , de retenir, de garder quand du micro la voix synthétique crachée la fin du « time lapse » dans 2 minutes ». Sans succès.

Il entendait encore du haut des toits le bruit des roues de fer jouer sur les rails dans ce matin qui nait ou cette nuit qui se répand, le bruit des gares étaient en lui.

De la ville à la campagne il avait réussi à trouver une place sans numéro fixe, parfois il faisait même la route debout en utilisant son regard pour gouter à de nouvelles vues.

Son monde était une succession de découvertes, d’allées et venus dans les castes qui parlent de grève de la « fin », de dénonciation sur commande, de catch, de petites bridées, de bénévoles Isérois et de poésie en 41 secondes.

Sous les lourdeurs de la ville qui semblent s’animer à la vitesse grand V, pas vers demain mais jusqu’à hier  et même plus loin encore, il fit pause sur l’amour.

Il l’avait touché, des doigts, des lèvres, de son corps tout entier aussi, mais la voie ferrée l’emmenait toujours loin de toutes ces chaleurs de femmes qui attendent ses allés sans retour.

Plus d’une sur le quai de la gare sont restées, avec des larmes ou des valises.
Des adieux déposés d’ un baiser  sur la main puis soufflait jusqu’à rester le souvenir qu’elles garderont de lui.

René arpentait souvent les trottoirs de la capitale, se fondant dans le pas des autres, le doigt sur la gâchette aux flashs, qui absorbent l’instant pour en faire un bout de son histoire, retravaillant minutieusement la netteté  ou sublimant d’un flou un mouvement.

René était un produit révélateur, à l’ancienne il connaissait la photo, l’agrandisseur, l’odeur des bains toxiques, la chambre noir, le bruit du film que l’on désincarcère de sa bobine, les différents grammage des papiers, le fil suspendu qui attend ses fruits mures, humides, noir et blanc ou couleur.
Il savait aussi l’encre et les sols, la reconstruction et puis tant d’autres choses pixellisées par sa nature sensible.

Dans la vie René ne s’était pas multiplié, il n’avait pas pu ou pas voulu ou pas pris le temps pour ca.

Il n’en portait pas une ride de regret, il avait voyagé autrement, dans les cultures aux rencontres, aux connaissances.

René se tenait droit devant la baie vitrée.

Il se rendit compte qu’il était le seul à disséquer l’horizon.

René entendit un silence venir du studio, dans la pièce  derrière lui.

Il tira la large baie vitrée pour mettre le loquet en position rouge.

René eu l’idée de renaitre dans sa propre vie.

Il décida d’abandonner son âme dans les bras de cette femme silencieuse, de tourner la page du passé, de caresser des yeux les bas de l’informelle, de la virtuelle aux mêmes impermanence que lui.

Il déposa ses hier comme ce sac lourd qu’il trainait depuis tant d’année, de gare en gare, de train en train, d’escales en escales, son cœur toujours vide.

Elle écarta un peu plus ses bras, elle était de dos, la vue de ses hanches en offrande, l’envie emplit tout son corps.

Il déboutonna sa chemise de la main droite, pris le viseur dans l’œil et vit le futur se révéler.

L’animelle

px : dédicasse à une rencontre

Photo de T.P.

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