Tableau noir

loonea

Tu es parti un week-end en me laissant pour consigne : « Exprime-toi par la peinture ». Je suis restée perplexe devant ton mot accroché sur la cafetière. J'avais fait exprès de traîner au lit pour ne pas à avoir à te dire au revoir avant ton départ, et là je me retrouvais comme une idiote à passer ma tasse de café d'une main à l'autre, sans savoir que faire. Alors j'ai attrapé mon sac, et je suis sortie sans me poser de question : tu n'étais pas là pour me surveiller.

Quand je suis rentrée, il était tard. Je tenais à peine sur mes jambes et ton mot me fixait toujours.

Mes jambes sont allées seules vers ton atelier. La lune inondait la pièce d'une couleur surnaturelle, et la lumière semblait pointer du doigt une toile vierge. Cette toile n'était pas là par hasard, tes couleurs et tout ton bordel étaient installés à côté pour me laisser libre place à « l'inspiration » comme tu appelais tes moments de grâce où tout semblait naître naturellement sous tes doigts.

Je n'ai pas allumé la lumière, la lune suffisait bien assez pour ce que j'avais à faire. Le pinceau est venu s'écraser sur la toile. Il est venu s'écraser sur la toile, mais cela n'a pas suffit. J'ai empli ma main gauche de peinture, et mon index droit a tartiné méticuleusement cette grande toile blanche. Je ne sais pas combien de temps cela a duré ; j'étais totalement fascinée par le contact de la peinture sur mes doigts, et sur ce travail si rigoureux et totalement décousu.

Quand je suis allée me coucher, il faisait jour. Le bruit de tes clés dans la porte m'a réveillé, mais je n'ai pas bougé. Tu as posé tes affaires, et j'ai entendu le bruit de tes pas s'éloigner. Je t'ai retrouvé dans l'atelier. Tu m'as attrapé dans tes bras en me berçant doucement. Tu as souri en voyant la peinture qui se trouvait encore sur mes joues et mes doigts, mais toi qui te définissait comme un poète de la peinture, tu n'avais pas vu sur le tableau que cette petite tâche rouge au milieu de cette marre de noire représentait mon coeur, et l'amour qu'il contenait pour toi... si peu.

Signaler ce texte